Buenos Aires, laboratoire des cryptos

Buenos Aires, laboratoire des cryptosBuenos Aires, laboratoire des cryptos

En quelques années, la capitale argentine est devenue incontournable dans le secteur.

Cette différence assez énorme est simple à comprendre. Depuis des années, le gouvernement, quelles que soient les tendances politiques, cherche à lutter contre l’effondrement du peso et l’inflation galopante en bloquant la valeur du peso à un niveau artificiel. Sauf que les Argentins savent bien que le cours officiel est surévalué. Donc ils cherchent à tout prix à se débarrasser de leurs pesos et à se procurer des monnaies “fortes” comme le dollar ou l’euro pour protéger leur épargne, ce qui ne fait que déprécier la valeur du peso... “On dit souvent que l’Argentine est le pays où il y a le plus de dollars après les États-Unis”, m’a glissé Mariano Mayer, ancien ministre argentin des PME et TPE et cofondateur du fonds d’investissement Newtopia VC.

Sur les “bons” conseils de Mariano et d’autres locaux, je suis donc allé là où vont tous les Argentins : les cuevas, les “grottes”, que l’on trouve dans le quartier de Florida au cœur de Buenos Aires. N’imaginez pas que les cuevas sont des lieux secrets en sous-sol (même des fonctionnaires du FMI y vont 🤫). Ce sont juste des marchands à la sauvette installés sur le trottoir. C’est là-bas que j’ai trouvé des pesos au “juste prix”.

Mais pourquoi je vous parle de tout ça ? Parce que pour comprendre l’Argentine d’aujourd’hui, ses fractures sociales, ses difficultés économiques et surtout le succès des cryptomonnaies, il faut bien avoir en tête ce double système monétaire et le rapport assez particulier des Argentins au peso qui n’a rien à voir avec celui des Français ou des Allemands à l’euro.

Quand vous payez à Paris ou Munich, vous ne pensez pas à l’euro. Mais dans un pays comme l’Argentine où la monnaie perd de la valeur presque en temps réel - officiellement 70% d’inflation en 2021 (certains disent que c’est beaucoup plus) - le prix de l’argent est une véritable obsession.

Depuis des décennies, les Argentins vivent avec un peso dans lequel ils n’ont pas confiance. Il y a 20 ans, il était presque à la parité avec le dollar (1:1). Aujourd’hui il vaut 200 fois moins. 200 FOIS. “Ici on paie en pesos, mais on pense en dollars ou en euros”, m’a expliqué le responsable du numérique de la ville de Buenos Aires, Diego Fernández.

Dans ce contexte, les cryptomonnaies n’ont fait que se développer, et c’est particulièrement frappant à Buenos Aires. Vous ne verrez certes pas d’autocollants bitcoin à tous les coins de rues, mais le phénomène est réel comme le montre CrypStation. Installé dans le quartier de Puerto Madero, ce café, qui prend les paiement dans 30 autres cryptos différentes, est à l’image du secteur : florissant. “On a de plus en plus de clients qui payent en cryptos”, explique son patron, Mauro Liberman. “Certains payent aussi en pesos pour s’en débarrasser”, s’amuse-t-il.


Le café CrypStation à Buenos Aires.

­­­­Au-delà de ces commerces très communautaires (et un peu anecdotiques), les Argentins se mettent aux cryptos pour plusieurs raisons, mais la première est évidemment pour se protéger de l’inflation. Le bitcoin est une star à ce niveau-là. Mais ce sont surtout les stablecoins, ces cryptomonnaies indexées sur un actif dit “stable”, qui ont la cote auprès des particuliers et aussi des entreprises, surtout les petites qui n’ont pas accès au dollar, mais aussi les grands groupes.

L’USDT et l’USDC, dont nous vous parlions il y a quelques semaines dans notre grand rapport sur les stablecoins, sont les plus demandés dans le pays. Tout comme le DAI qui est un stablecoin décentralisé. L’avantage de ces cryptos c’est qu’elles sont adossées au dollar. “Les stablecoins permettent d’avoir une monnaie stable et de se transférer facilement de l’argent, ce qui n’est pas forcément simple à faire avec les banques”, indique Mariano Di Pietrantonio, responsable du développement de la croissance chez MakerDao, l’organisation qui pilote le DAI.

L’autre levier de développement des cryptomonnaies auprès des Argentins est l’accès aux services financiers. Car les banques 🇦🇷 sont chères. Les Argentins ont le droit à un compte bancaire et une carte de débit, mais tous les autres services sont payants.

En moyenne, les Argentins payent 200 dollars par an pour leur banque, soit autant qu’en France, sauf qu’ils n’ont pas accès à autant de services et le salaire moyen argentin est trois fois inférieur à celui des Français (10.000 dollars contre 30.000 dollars). “Beaucoup d’Argentins sont exclus du système bancaire”, explique Manuel Beaudroit, fondateur de Belo, une application qui permet d’acheter et de vendre des cryptomonnaies. Et surtout de les dépenser via une carte bancaire grâce à un partenariat avec Mastercard.

En moins d’un an, la start-up qui a levé 3 millions de dollars, compte déjà plus de 100.000 clients enregistrés. Ce qui fait son succès ? Ouvrir un compte ne coûte rien. Les clients peuvent stocker leur argent (bitcoin, USDC…) et payer sans frais avec leur carte. Belo prélève des commissions sur les opérations d’achat et de vente de cryptomonnaies.

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Avec Manuel Beaudroit dans les locaux de Belo à Buenos Aires.

­­­Cette start-up est loin d’être la seule : la star locale s’appelle Ripio, une plateforme d’échange qui a réussi à lever 50 millions de dollars l’an dernier et prévoit de s’implanter partout en Amérique latine. On vous en parlera très bientôt dans The Big Whale.

Conscientes du problème, les banques argentines essayent de prendre la vague. Il y a trois semaines, le plus important établissement du pays, Banco Galicia, a annoncé qu’il permettrait à ses clients d’acheter et de vendre des cryptomonnaies. Mais c’était sans compter l’intervention du Fonds monétaire international (FMI). L’institution, qui soutient à bout de bras le pays depuis des années, a mis la pression au gouvernement pour que les banques argentines renoncent à ce genre d’initiative. “Le projet n’est pas abandonné”, nous a toutefois glissé un porte-parole de Banco Galicia.

Est-ce que cela sera suffisant pour permettre aux banques argentines de rester dans la course ? Rien n’est moins sûr. “Les banques sont dépassées. Leur infrastructure n’est plus adaptée”, explique Hanna Schiuma, vice-présidente de la fintech Ank, filiale de la banque brésilienne Banco Itaú. Pour elle, “l’avenir des banques est un mélange entre la relation client des fintech et l’architecture offerte par les cryptomonnaies”. Je demanderai aux banques argentines que je dois voir cette semaine ce qu’elles en pensent.

Très bonne semaine à tous 🐳

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