The Big Whale : Unagi est un studio français de jeux vidéo. Pour l’instant, vous n’avez sorti qu’un seul jeu, Ultimate Champions, qui permet de jouer au football et, depuis quelques mois, au basketball. Êtes-vous satisfait du lancement ?
Charlie Guillemot : Ultimate Champions a été lancé au printemps 2022, donc nous venons d’achever notre première vraie saison de football (le basketball n’a été lancé que début 2023, ndlr), et les choses se passent bien. Nous avons aujourd’hui presque 300.000 utilisateurs enregistrés, dont 30.000 utilisateurs actifs mensuels.
Depuis la fin des championnats, il y a évidemment un peu moins d’activité, mais les choses vont reprendre début août avec la reprise des principaux championnats de football européens.
Comment peut-on jouer à Ultimate Champions ? Quel est le principe ?
Nous sommes un jeu de fantasy sport basé sur les résultats sportifs du monde réel. Pour jouer, vous avez des cartes NFTs qui représentent un joueur réel. Chaque semaine, vous devez composer une équipe de onze joueurs pour affronter d’autres gamers dans des ligues. En fonction de vos résultats, basés sur la réalité, vous obtenez des récompenses.
Aujourd’hui, Sorare, qui est aussi un jeu français, est considéré comme le leader du secteur . Quelles sont vos différences avec eux ?
Il y a de nombreuses similitudes, mais nos principales différences sont dans l’expérience utilisateur et le fait qu’Ultimate Champions est un jeu en free-to-play, c’est-à-dire gratuit. Vous n’avez pas besoin de payer pour jouer.
C’est aussi le cas de Sorare…
Oui, mais Sorare a progressivement développé cet accès gratuit. Nous, c’est le principe même du jeu.
Y a-t-il un mode payant ?
Il y a un mode payant pour les joueurs qui veulent accéder à des meilleures cartes et à des compétitions plus sélectives, qui elles-mêmes donnent accès à des récompenses plus intéressantes... C’est le principe de tous les grands jeux mobiles comme Clash of Clans ou Candy Crush.
Que peut-on gagner dans Ultimate Champions ?
En fonction de vos performances sur le terrain, vous allez obtenir une note globale et un classement qui vous permet de récupérer de nouvelles cartes ou des “CHAMP”, c'est-à-dire des tokens du jeu.
À quoi sert le “CHAMP” ?
Le but de ce token est de devenir le token de tout l’écosystème des jeux Unagi. Il est disponible via nos jeux, pour l’instant uniquement Ultimate Champions, et également sur des plateformes.
La valeur du CHAMP a été divisée par 10 en moins d’un an, n’est-ce pas un problème ?
Le token a effectivement beaucoup baissé aussi parce que sa valeur s'était fortement appréciée fin 2022. En réalité, il est aujourd'hui à un niveau un peu plus faible qu'au moment de son lancement, mais l'écart n'est pas considérable.
Quel est le principal enseignement que vous avez tiré de cette première saison pour le jeu ?
Il y en a plusieurs, mais la principale, et que nous avons un bon niveau de rétention des utilisateurs, ce qui n’est pas simple pour un jeu en free-to-play. Ultimate Champions est gratuit, donc vous pouvez changer de jeu quand vous le souhaitez.
Quel est votre niveau de rétention ?
À 30 jours, elle est de 19%, soit presque un joueur sur cinq qui va rester plus d’un mois sur le jeu. C’est considérable, et je pense que c’est surtout dû à la qualité de l’expérience utilisateur et au côté ludique du jeu.
Combien de joueurs ont opté pour le mode gratuit ?
À peu près 95% de nos abonnés n’ont jamais payé pour jouer. L’objectif est de faire monter ce chiffre.
Quel est le panier moyen ?
Nous avons un panier moyen relativement élevé. Il est aux alentours de 200 euros.
Qui sont les joueurs d’Ultimate Champions ?
Surtout des fans de sport. Certains viennent pour la dimension Web3, mais la grande majorité est là pour le football et le basketball.
Quelles sont vos autres sources de revenus ?
Pour l’instant, c’est la seule. Nous ne faisons pas de publicité parce que nous voulons préserver l’expérience utilisateur, mais les choses vont sûrement évoluer.
Vous venez de l’univers traditionnel des jeux vidéo. Est-ce que c’est compliqué de lancer un jeu Web3 ?
Nous sommes des anciens d’Ubisoft (Charlie Guillemot est le fils du fondateur d’Ubisoft Yves Guillemot, ndlr) et nous savons très bien qu’il faut entre trois et quatre ans pour sortir un bon jeu vidéo. Nous avons décidé de lancer Ultimate Champions en moins d’un an parce que l’écosystème Web3 et la technologie évoluent tellement vite et qu’il faut tester les choses. Nous améliorons le jeu en permanence.
Est-ce que vous pourriez sortir du sport ?
Oui bien sûr, c’est même notre objectif. Le gaming ne se résume pas au sport.
Les jeux Web3 restent encore compliqués d’accès. Que faire pour améliorer les choses ?
C’est effectivement un sujet crucial. Notre objectif est de faire en sorte que les gens qui n’ont pas de portefeuilles numériques (wallets), ne connaissent pas les NFTs et la blockchain, puissent jouer avec un e-mail et un mot de passe. Peu de gens le diront, mais la réalité, c’est que les joueurs se fichent de la technologie, de savoir quelle blockchain ils utilisent, tant que l’expérience et le jeu sont bons.
Quand nous nous sommes lancés, nous avions une petite crainte sur le fait de ne pas être assez Web3, mais en réalité tout le monde s’en moque. Tant que le jeu est bien, les joueurs vous suivent, ils préfèrent la simplicité à la décentralisation.
Comment rendre les choses justement plus simples ?
Il y a de nombreuses solutions, mais l’une des plus intéressantes en ce moment est “l’abstraction de compte” (tout est expliqué ici) qui permet d’utiliser beaucoup plus simplement un portefeuille numérique avec un mot de passe ou le FaceID de l’iPhone comme dans le Web2. Nous allons utiliser l’abstraction de compte pour nos jeux.
Aujourd’hui comment se crée-t-on un compte sur Ultimate Champions ?
Les joueurs s’inscrivent et nous allons créer pour eux un compte sur la blockchain. Ils peuvent ainsi déposer et retirer leurs tokens dans leur wallet, sans se soucier de leur seed phrase (mot de passe de récupération).
Quelles sont les prochaines étapes pour vous ?
Il y en a plusieurs. À très court terme, il y a la reprise de la saison de football qui est un moment important. Dans la foulée, nous allons aussi changer un peu l’économie du jeu avec une nouvelle politique d’offre des cartes.
Il y en aura moins ?
Vous verrez. Et l’autre sujet, ça va être d’avoir un meilleur jeu sur mobile.
Et à plus long terme ?
Nous voulons lancer d’autres jeux.
L’un des gros enjeux dans le fantasy gaming est celui des droits. Rien que pour le football anglais, Sorare a mis plus de 100 millions d’euros sur quatre ans jusqu’en 2027. Où en êtes-vous à ce niveau-là ?
Aujourd’hui, nous avons un peu plus de 120 clubs dans 13 ligues différentes. Le plus intéressant est de signer directement avec les ligues parce qu’elles permettent d’avoir tous les clubs d’un seul coup. Nous avons signé des championnats en Scandinavie et en Europe de l’Est.
N’est-ce pas un problème de ne pas avoir les principaux championnats européens comme l’Angleterre ou l’Espagne ?
C’est ce que nous pensions, mais en réalité les joueurs d’Ultimate Champions aiment aller chercher les pépites, trouver les joueurs que personne ne connaît pour les mettre dans leur équipe et potentiellement avoir des cartes qui prennent de la valeur.
Vous avez quand même quelques grands clubs en Europe comme Arsenal (Angleterre) ou le Bayer Leverkusen (Allemagne). Quel est l’intérêt ?
Même si vous n’avez qu’un ou deux clubs d’un championnat, vous pouvez quand même utiliser les joueurs dans le jeu parce qu’il n’y a pas de barrière géographique. Je peux très bien avoir un joueur d’Arsenal dans mon équipe avec un joueur du Bayer Leverkusen.
Comment allez-vous vous positionner sur les principaux championnats européens ?
Il y a des cycles de négociation, et là certains vont reprendre, donc les choses vont évoluer. Le plus intéressant est que nous sommes en train de sortir de la logique d’exclusivité.
Les premiers contrats étaient exclusifs alors que désormais les clubs ont compris qu’ils avaient intérêt à signer avec plusieurs partenaires. Nous comptons bien en profiter.
Est-ce que les droits vont être aussi élevés qu’il y a encore 2 ou 3 ans ?
Honnêtement, ça ne serait pas raisonnable. Plusieurs acteurs ont récemment fait faillite parce qu’ils s'étaient engagés sur des droits trop élevés.
Il faut sortir de la course aux millions et payer le juste prix. L’une des principales erreurs de certains de nos concurrents est de s’être dit qu’il fallait signer des gros clubs qui amèneraient beaucoup de joueurs alors que ça ne fonctionne pas comme cela. Paradoxalement, ce sont les petits clubs qui amènent le plus de fans. Et en plus, ils coûtent moins chers !
La France pourrait bientôt mettre en place un régime expérimental pour les jeux Web3 (c’est le régime “Jonum”, ndlr). Qu’en pensez-vous ?
C’est une très bonne chose ! Les jeux comme Ultimate Champions ne sont pas des jeux d’argent. C’est très positif de voir que la France prend les devants et qu’elle essaie de créer un cadre spécifique. L’Asie est également en train de réagir.
Combien êtes-vous chez Unagi ?
Une trentaine de personnes réparties en trois tiers : un tiers de développeurs, un tiers de créatifs et un tiers de personnes dans le marketing.
Vous avez levé presque 10 millions d’euros en moins d’un an. Avez-vous toujours de quoi voir venir ?
Oui, mais nous sommes en train de préparer un nouveau tour pour continuer de nous développer.
Binance Labs, qui appartient à Binance, est l’un de vos principaux investisseurs. Que vous apportent-ils au-delà d’un soutien financier ?
Nous travaillons évidemment beaucoup avec eux et le jeu est disponible sur la Binance Chain. Ils nous offrent un support technique, nous discutons beaucoup avec eux sur la manière d’opérer des jeux. Ils sont très précieux.
Après la chute de FTX, tout le monde s’est rendu compte un peu violemment qu’aucun acteur n’était à l’abri. Ne craignez-vous pas un bad buzz en cas de problème pour Binance ?
Si forcément, mais ce que nous répétons à chaque fois, c’est que nous ne sommes pas Binance. Nous sommes une autre société.