The Big Whale : Comment les faits se sont déroulés de votre point de vue ?
Nicolas Bacca : Moi, on m’a annoncé la demande de rançon. À partir de là, j’ai réfléchi. Et évidemment, j’étais un petit peu choqué comme pas mal de monde. Donc, je me suis demandé : qu’est-ce que je peux contribuer pour améliorer les choses et pour être utile ? Parce que j’ai souvent cette obsession d’essayer d’être utile face à une situation difficile. Je partais du principe que, sur la partie cyber et l’exploitation des métadonnées, les gendarmes étaient probablement déjà très efficaces. Donc je me suis concentré sur un autre point : faire en sorte qu’à partir du moment où les otages seraient libérés, les ravisseurs ne puissent plus accéder aux fonds, ou le moins possible. Dans ce genre d’affaires, le temps est critique. Par exemple, demander à une plateforme de geler des fonds ou à un émetteur de stablecoin prend du temps : échanges de documents, vérifications, etc. C’est là que j’ai décidé d’intervenir. Mon objectif était de créer un dispositif prêt à être activé pour envoyer simultanément des demandes de gel à toutes les plateformes possibles en quelques minutes, pas en quelques heures.
Quelle organisation avez-vous mis en place ?
J’ai travaillé à mettre en place un processus où tout pouvait être déclenché rapidement et de manière coordonnée. J’ai cherché les bonnes personnes pour cela. C’est là que j’ai monté une équipe, composée notamment de l’avocate Sarah Compani , qui a une spécialité auprès de Tether et des contacts solides dans plusieurs exchanges comme KuCoin. Elle a été d’une aide précieuse grâce à son réseau. J’ai également fait appel à l’équipe de SEAL 911 , qui est extrêmement efficace et qui mériterait davantage de reconnaissance pour son travail (n'hésitez pas à faire un don ici) . Mon rôle principal a été de faire le lien entre ces acteurs et les autorités pour coordonner les actions et m’assurer que les fonds pouvaient être gelés rapidement, idéalement en quelques minutes après la libération des otages. Aujourd’hui, nous avons réussi à geler une très grande partie des fonds, ce qui est un bon résultat.
C’est donc une organisation humaine d’un nouveau genre pour ce type d’affaires ?
Oui, tout à fait. Une organisation capable d’anticiper les demandes et de tout déclencher en même temps. Un peu comme ce que le GIGN fait en physique, mais dans le monde virtuel. L’objectif était que, dès que nous avions l’information que les otages étaient libérés, tout puisse être activé en même temps. Cela évite des pertes de temps, car dans ce genre d’affaires, chaque minute compte. Ce modèle est basé sur une coordination extrêmement précise entre différents experts et acteurs, chacun ayant un rôle bien défini.
Cette organisation pourrait-elle être remobilisée pour d’autres cas similaires ?
Absolument. C’est un modèle transposable. Par exemple, si je voulais le faire sur les stablecoins de Circle, je ne saurais pas encore exactement comment m’y prendre, mais il suffirait que des experts se réfèrent à une organisation comme SEAL pour renforcer l’efficacité. Ce que je pense être utile, c’est qu’à chaque fois qu’il y a un expert sur un acteur spécifique, comme Tether ou une autre plateforme, cette personne puisse se référencer auprès de SEAL pour constituer un réseau de spécialistes. Cela rendrait l’organisation encore plus efficace et réactive face à des situations similaires.
Et s’il s’agissait de quelqu’un de moins important ? Est-ce que l’organisation serait aussi efficace ?
Oui, je pense que oui. Ce n’est pas une question de célébrité. On a la chance, en France, d’avoir des forces de l’ordre efficaces qui agissent rapidement, peu importe qui est concerné. Les forces de l’ordre en France, comme le GIGN, agissent toujours avec la même diligence, qu’il s’agisse d’une personnalité publique ou de quelqu’un de totalement inconnu. C’est une des forces de notre système, même si certains peuvent parfois en douter.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ? Des améliorations possibles ?
Tout est perfectible. Par exemple, sur le gel des fonds, il y a parfois un manque de coordination entre les différentes phases. Mais les acteurs comme Tether ont été incroyables, avec son CEO Paolo Ardoino (lire son interview) lui-même qui a accéléré le processus. Ce qui est clair, c’est que c’était une première pour tout le monde, donc il y a forcément eu un temps d’adaptation. Plus tard, je pense que ces processus seront encore plus rapides et fluides.
Est-ce qu’un standard international pourrait être créé à partir de cette organisation ?
Oui. Ce modèle peut servir de levier pour accélérer les actions des forces de l’ordre partout dans le monde. Les organisations étatiques ou policières peuvent tirer parti de cette structure pour améliorer leur efficacité lorsqu’il s’agit de situations impliquant la blockchain ou des crypto-monnaies. C’est une opportunité d’accélération des moyens d’action.
Et pour les fonds envoyés sur des mixeurs décentralisés ?
Ce n’est pas facile, mais il y a souvent des corrélations ou des données exploitables. Le crime organisé n’est pas toujours sophistiqué, et les criminels cherchent généralement à convertir en monnaies traditionnelles, ce qui les rend traçables. Les mixeurs parfaitement décentralisés seraient très difficiles à gérer d’un point de vue réglementaire, et cela limiterait leur adoption par des criminels. Les points de sortie, où les fonds sont convertis en fiat, restent une des clés pour les investigations.