Interview : Jean-Marc Stenger [SG-Forge]
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Patron de l’entité qui gère l’activité des actifs numériques de Société Générale, Jean-Marc Stenger détaille les avantages de cette technologie.
Vous dirigez SG-Forge depuis cinq ans. Comment est né le projet ?
Il y a cinq ans, la direction de Société Générale nous a demandé d’innover. Nous avons assez vite identifié la blockchain comme étant un excellent terrain d’expérimentation. En 2018, le groupe
a accepté de créer une filiale dédiée à la crypto, ce qui à l’époque n’était pas rien !
« Nous pouvons émettre une obligation en quelques minutes_ »
Est-ce que cela a été compliqué ?
Nous n’avons jamais senti une réticence particulière, mais ce n’est pas un sujet anodin. Ce qu’il fallait, c’était montrer qu’il y avait un intérêt, et après nous avons été soutenus de manière assez claire par notre direction. Aujourd’hui vous êtes bien au-delà de l’expérimentation...
Nous sommes à un stade où il y a des vrais cas d’usage liés à la blockchain et aux actifs numériques, donc il faut développer une activité et un business avec l’objectif de dégager des revenus.
Quels sont ces cas d’usages identifiés ?
Clairement la capacité d’émettre des titres financiers du monde traditionnel sur une blockchain publique. Aujourd’hui, le système financier est limité d’un point de vue géographique. Vous ne pouvez pas échanger des titres partout sur la planète, alors qu’une blockchain publique comme Ethereum le permet.
L’automatisation par les smart contracts permet également de gagner un temps considérable pour l’émission des actifs. Nous proposons des produits structurés d’une part, ainsi que la possibilité d’émettre des obligations.
Quels avantages pour vos clients ?
Actuellement, la structuration d’une obligation traditionnelle prend, dans le meilleur des cas, au moins deux semaines, et pendant ce temps-là, le marché continue d’évoluer. Une fois que l’obligation a été créée, il faut la placer auprès des investisseurs avec des problématiques de commercialisation qui limitent le nombre d’acheteurs. Grâce à la blockchain, nous proposons un système de smart contracts standardisé.
Nous mettons à disposition de l’émetteur une interface via laquelle il peut jouer avec un certain nombre de paramètres. Une fois qu’il a déterminé les paramètres, il n’y a plus qu’à appuyer sur un bouton et l’émission est réalisée en quelques minutes avec une capacité théorique de placement à l’échelle mondiale.
Dans un futur proche, quels types d’actifs financiers pourraient être tokenisés sur une blockchain publique comme Ethereum ? Aujourd’hui, il y a de nombreux acteurs qui poussent pour appliquer la tokenisation à des actifs financiers plus “illiquides” comme dans l’immobilier ou des parts de fonds de private equity.
Personnellement, je pense que ce sera difficile de le faire à court terme parce qu’il y a trop de paramètres techniques et réglementaires à aligner pour ce genre d’opérations. Cela viendra, mais plus tard. En revanche, les actifs liés au marché obligataire, c’est-à-dire le marché de la dette, s’y prêtent parfaitement, notamment parce que les contraintes juridiques sont beaucoup moins importantes. Nous pouvons déjà offrir la même équivalence en termes de droit, de devoir et d’obligations réglementaires à l’émetteur et aux investisseurs entre une obligation au “format blockchain” et une obligation traditionnelle.
Quels sont les freins au développementde la tokenisation ?
C’est indéniablement la standardisation des pratiques à l’échelle mondiale. Actuellement, il y a une dizaine d’acteurs qui sont bien avancés sur la tokenisation. Le problème, c’est que chacun, dont SG-Forge, a développé sa propre manière d’émettre les tokens...
Comme pour les marchés traditionnels, il va falloir des années, voire plus, pour créer des standards communs. C’est pour cette raison que nous avons choisi d’open-sourcer un certain nombre de nos protocoles opérationnels. La finance va rester interconnectée. Il faut donc avoir un langage commun.
Certains acteurs de la finance expliquent que l’un des freins les plus importants à la tokenisation reste le besoin d’une monnaie de règlement pour acheter ces actifs ? Est-ce le but de l’EUR CoinVertible, le stablecoin que vous avez lancé en avril dernier ?
C’est effectivement l’un des trois principaux cas d’usages du stablecoin que nous avons lancé. L’euro CoinVertible doit permettre à nos clients d’acheter et de vendre les obligations ou des produits structurés sur la blockchain.
Le deuxième cas d’usage, ce sont les paiements transfrontaliers, dont les volumes ne cessent de progresser. Nous allons bientôt avoir des clients institutionnels qui vont pouvoir commencer à souscrire à cette offre pour mener leur propre expérimentation.
Enfin, notre EUR CoinVertible doit également servir à une clientèle d’investisseurs crypto qui pourrait se montrer intéressée à l’idée d’avoir à leur disposition un stablecoin structuré d’une manière que nous jugeons plus sûre que les autres stablecoins du marché.
En quoi sa structuration est-elle particulière ?
La grande différence, c’est que l’actif de réserve n’est pas détenu par SG-Forge mais par un conservateur externe, en l’occurrence Equitis.
Si demain SG-Forge ou Société Générale venaient à ne plus exister, la réserve ne disparaîtrait pas. Le porteur du jeton peut directement aller voir Equitis et réclamer sa part. Cette ségrégation des fonds n’existe pas chez les autres grands acteurs du marché.
Comme pour les marchés traditionnels, il va falloir des années, voire plus, pour créer des standards communs
Actuellement, de quoi sont constituées les réserves de votre CoinVertible ?
Aujourd’hui, la capitalisation de notre stablecoin est de 10 millions d’euros sur la blockchain Ethereum. Pour le moment, les réserves ne sont constituées que de cash. Nous ne touchons donc quasiment pas de rendement mais par la suite, nous allons nous tourner vers des actifs assez classiques, comme des obligations d’État, qui permettront d’avoir un rendement.
Quel est le modèle économique de l’EUR CoinVertible ?
C’est le même que pour la plupart des autres stablecoins du marché. Nous nous rémunérons avec le rendement issu des actifs en réserve.