William O’Rorke (ORWL Avocats) : “Tout le monde ne pourra pas devenir Jonum”
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Avocat associé pour le cabinet ORWL, William O’Rorke revient sur le futur cadre réglementaire Jonum et son caractère unique au monde.
Quelle est la genèse de Jonum ?
Avant l’apparition des jeux Web3, la situation était assez simple. Il y avait des jeux d’argent et de hasard (casinos, paris sportifs et hippiques, jeux de table) et ces derniers étaient soumis à un cadre bien précis. Mais à l’arrivée des jeux Web3, la France a poussé pour qu’il y ait un encadrement spécifique afin d’éviter de subir le même sort qu’avec les sites paris en ligne apparus au milieu des années 2000.
Quel était le problème avec les sites de paris en ligne ?
Les paris en ligne ont été encadrés par des pays européens en avance sur le sujet, ce qui a abouti à une transposition dans le droit européen et donc par extension dans le droit français. En prenant de l’avance sur le sujet des jeux Web3, la France espère ainsi participer activement à la création du cadre et maîtriser sa transposition européenne pour éviter qu’on lui impose. C’est probablement ce qui explique la volte-face de l’Autorité nationale des jeux (ANJ), qui était initialement très défavorable aux jeux Web3, avant d’évoluer sur le sujet.
Quel est l’élément qui a poussé l’ANJ à s’intéresser au Web3 ?
Incontestablement Sorare. C’est l’acteur incontournable. Mais ils ne sont pas les seuls. On compte une grosse dizaine de jeux Web3 en France.
Comment les pouvoirs publics ont-ils organisé l’élaboration du cadre Jonum ?
Après de nombreux débats, l’Inspection générale des finances a proposé de créer une exception au régime des jeux d’argent avec le régime des jeux à objets numériques monétisables (Jonum). Ce dernier devrait coller davantage à ces jeux d’un nouveau genre. Cela permettra d’avoir d’un côté les jeux d’argent en ligne que l’on connaît aujourd’hui, qui sont très régulés et taxés, et de l’autre un bac à sable d’expérimentation pour le Web3. Mais attention : tous les acteurs ne pourront pas y prétendre.
Qui pourra devenir Jonum ?
Il faudra faire partie d’une liste d’activités (fantasy games, etc.) tenue par l’ANJ. Les jeux qui correspondent à quelque chose de déjà régulé par les jeux d’argent n’auront pas leur place, comme par exemple le poker ou la roulette. Et si l’ANJ s’aperçoit qu’il n’y a pas d’intérêt ludique et que cela engendre des comportements addictifs, elle pourra interdire.
Qu’est-ce qui définit un Jonum d’une simple collection de NFTs ?
Il n’y a pas de critères ludiques, mais c’est défini comme un service qui nécessite l’utilisation d’un NFT dans le but de gagner quelque chose sous la forme de NFTs ou de tokens émis par l'opérateur (condition importante qui distingue un Jonum d'un jeu d'argent où les gains sont rarement, sinon jamais, des produits exclusivement liées à l'opérateur).
Quelles sont les principales critiques de l’écosystème Web3 ?
Principalement sur tout ce qui touche à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). C’est probablement trop lourd de soumettre les acteurs du gaming Web3 aux mêmes règles que les casinos, les banques ou les assurances, notamment au regard du poids et de la maturité du secteur. Sorare aura du mal à fonctionner si on demande au joueur d’envoyer un grand nombre d'informations sur l'origine des fonds, ce qui peut aller jusqu'à collecter des fiches d'impôt. Il faudra voir comment se traduiront les décrets d’application.
Quels acteurs ont poussé pour que l’on inclut ce dispositif ?
Il y a eu un lobbying intense de la part de nombreux élus locaux disposant de près ou de loin d’un hippodrome ou d’un casino sur leur circonscription. Ces derniers ont eu un poids considérable.
Comment l’ANJ se positionne-t-elle sur le sujet ?
Elle était encore agressive il y a 10 mois, mais je trouve qu’elle a évolué après avoir rencontré les acteurs du secteur. Elle n’est plus dans une optique de taper fort et on la sent réceptive pour encadrer plus souplement ce secteur expérimental. Mais de l’autre côté, il faut aussi avoir conscience que l’ANJ est également à l’écoute des jeux d’argent régulés et ces derniers sont très puissants en France.
Les jeux d’argent traditionnels parlent de concurrence déloyale car les jeux Web3 ne seraient pas soumis à la même fiscalité qu’eux…
En effet, il n’est pas prévu d’aligner la fiscalité des Jonum. Mais il y a une raison à cela : les jeux d’argent traditionnels sont surtaxés car ils font d’énormes profits et c’est une manière de leur faire payer leur monopole. Les jeux Web3 en sont encore au stade expérimental. Je pense que c’est une erreur pour les acteurs historiques de les voir comme une nouvelle concurrence.
Devenir Jonum aura un coût pour les projets, quel sera-t-il ?
Il y aura d’abord l’obligation d’avoir les compétences en interne ou en externe pour présenter le dossier à l’ANJ. Ensuite, il faudra contrôler l’identité des joueurs, leur âge, fournir de la transparence sur les flux, etc. Tout cela a un coût. Entre l’accompagnement dans le dossier que l’on peut évaluer à plusieurs dizaines de milliers d’euros, l’embauche d’un responsable de la conformité et un audit annuel de l’activité autour de 20.000 euros par an, l’addition peut vite grimper.
Cela reste beaucoup moins contraignant qu’un enregistrement PSAN, qui est imposé aux plateformes proposant de l’achat-vente de cryptos au public…
Sur le papier oui, car il n’y aura pas besoin de tampon officiel sur un jeu pour exercer. Mais de l’autre côté, rien ne dit que l'absence de validation préalable du régulateur ne l’empêchera pas de sanctionner au bout de 6 mois. En pratique, je ne recommanderai pas aux projets de se lancer sans avoir reçu un signe positif du régulateur.
La France est-elle attendue au niveau européen ?
Oui, nous sommes régulièrement contactés par des avocats étrangers qui souhaitent savoir ce qui va se passer en France. On peut se demander pourquoi les Anglais n’ont pas pris de l’avance sur le sujet, chez qui les jeux sont historiquement très développés, mais ils ont été très marqués par le scandale Football Index qui permettait d’investir sur les joueurs de football et gagner de l’argent en fonction de leurs performances. Cela n’avait rien à voir avec les mécanismes de Sorare, mais certains y ont probablement vu des similitudes, d’où une certaine frilosité sur le sujet.