The Big Whale : Depuis un an et votre départ de chez KPMG, vous avez fait beaucoup de choses. Vous avez écrit un livre, publié des dizaines de tribunes, participé à de nombreuses conférences, et finalement aujourd’hui vous décidez de rejoindre une entreprise. Pourquoi ? Votre liberté vous a lassé ?
Alexandre Stachtchenko : Après avoir quitté KPMG, j’avais besoin d’écrire et de dire beaucoup de choses sur tout ce que j’ai pu observer ces 10 dernières années, à la fois dans l’industrie, dans les médias, les start-up ou même sur le financement public. J’ai pu faire tout cela et je m’étais donné comme objectif de rester ouvert aux opportunités tout en restant fidèle à mes convictions profondes.
D’où le choix de Paymium ?
Beaucoup de gens savent que je ne suis pas un grand fan du métavers ou des “layers 42” et autres nouveaux concurrents d’Ethereum, donc le nombre d’entreprises dans lesquelles je pouvais rebondir n’était pas énorme. D’autant plus que je suis aussi très attaché à l’idée de souveraineté, ce qui rétrécit encore un peu plus le spectre et a fait de Paymium une quasi évidence .
Comment les négociations se sont-elles déroulées avec Paymium ?
Un peu par hasard en réalité. Tout a commencé lors d’une discussion avec Laetitia (Laetitia Zito est directrice générale de Paymium, ndlr) sur le plateau de BFM Crypto. Je lui ai dit ce que je pensais de Paymium, du fait que c’est une plateforme d’échange historique, qui a été visionnaire, mais que cette antériorité et cette vision ne se retrouvent pas dans la dynamique marketing et commerciale de Paymium.
Au fil de la conversation, nous avons ouvertement parlé de Paymium, de ce que nous pourrions faire ensemble, et assez vite j’ai eu une sorte de moment “Eureka” en me disant que Paymium cochait toutes les cases : c’est une plateforme d’échange et, en plus, elle est française, et je dis depuis des années qu’il faut que la France ait sa propre plateforme d’échange.
Pourquoi la France a-t-elle besoin d’un acteur français ?
Parce que c’est une question de souveraineté. Sur un sujet aussi important que la finance et la monnaie de demain. Ce n’est pas concevable que la France n’ait pas sa propre plateforme d’échange.
Les gens ne font pas assez la différence entre les plateformes d’échange et les brokers qui ne sont que des revendeurs et qui vont acheter leurs actifs sur ces plateformes. Je n’ai rien contre les brokers, mais si nous avons 35 brokers en France et aucune plateforme d’échange, cela veut dire que nous avons 35 sociétés qui dépendent d’acteurs étrangers pour accéder à la monnaie et aux actifs de demain.
Quel pays accepterait cela ? Ce n’est pas pour rien que les Américains et les autres grandes puissances ont leurs propres plateformes. Je le dis depuis des années : il faut que la France soit souveraine sur les plateformes, le minage et les portefeuilles numériques.
Comment expliquez-vous le fait que peu de personnes aient conscience de cette question ?
Beaucoup de gens pensent que la souveraineté est synonyme d’autarcie, alors que la souveraineté est synonyme d’autonomie. Si la France ne sait pas faire de grille-pains, on s’en remettra. Si en revanche la France n’a pas d’armée ou d’énergie, ce sera beaucoup plus compliqué.
Vous considérez le bitcoin comme un sujet aussi important que celui de l’armée ou de l’énergie ?
Je ne mets pas encore le bitcoin au niveau de l’armée, mais je pense que vu la place que ces sujets sont amenés à prendre, il faut la France soit équipée à ce niveau-là. Sans acteur capable de gérer l’accès à l’infrastructure de marché, cela veut dire que nous sommes dépendants de l’étranger sur des questions aussi importantes que la monnaie et la finance.
Vous parlez de souveraineté française. Pourquoi ne pas parler de souveraineté européenne ?
Je comprends l’idée, mais la souveraineté européenne est beaucoup plus compliquée à exercer dans la pratique. Il y a beaucoup d’intérêts divergents en Europe. C’est mieux d’avoir une plateforme européenne qu’extra-européenne, mais c’est encore mieux d’avoir une plateforme française.
Paymium ne permet d’acheter que du bitcoin (et une poignée d’autres cryptos mais via un service de broker, ndlr). Allez-vous poursuivre cette voie ?
J’aime aussi préciser que Paymium est “Bitcoin First” et pas “Bitcoin Only”. Paymium permet aussi d’accéder à d’autres actifs numériques, mais pour nous il y a le bitcoin et le reste (nous avons relevé environ 150.000 dollars de volume quotidien sur la paire bitcoin-euro chez Paymium, ndlr).
C’est-à-dire ?
Si je vous parle d’épargne, je vais penser au bitcoin, alors que si je parle d’investissement, je vais penser aux cryptos. Les cryptos sont un sujet d’investissement et de tech, pas un sujet monétaire avec des enjeux politiques.
Aujourd’hui, moins de 10 cryptomonnaies sont disponibles à l’achat sur Paymium. N’est-ce pas un problème ?
Nous venons de changer notre moteur de trading pour voir comment élargir la base des cryptos que nous allons lister sur la plateforme. C’est un équilibre subtil à trouver entre notre ADN et la demande des clients.
Quel va être votre rôle chez Paymium ?
Mon travail va essentiellement consister à bien déterminer le positionnement de Paymium. À qui parle-t-on ? Quels sont nos clients ? Quelles sont les offres qui marchent ? Mon rôle va être orienté vers l’acquisition, la rétention, la satisfaction client et plus globalement la stratégie. Le but est de muscler nos deux jambes, à la fois celle sur les particuliers, mais aussi sur les entreprises.
Lors de l’annonce de votre arrivée sur les réseaux sociaux, beaucoup vous ont félicité, mais beaucoup vous ont aussi fait remonter des problèmes liés aux coûts ou à l’expérience utilisateur. Comment voyez-vous les choses ?
Oui effectivement, mais je suis justement là pour améliorer les choses. J’ai d’ailleurs terminé l’annonce de mon arrivée chez Paymium en demandant ce qu'on pourrait améliorer sur les tarifs ou la partie expérience utilisateur.
Nous avons pris un peu de retard sur certains sujets à cause de difficultés avec les banques, mais maintenant que les choses sont derrière nous, nous allons pouvoir avancer. J’ai déjà commencé à faire remonter des choses, mais tout ne sera pas parfait d’ici deux semaines. C’est un travail de long terme.
L’un des gros reproches fait à Paymium concerne les frais de conservation qui s’appliquent en cas d’inactivité sur le compte. Qu’en pensez-vous ?
Sur les frais, nous avons évidemment eu beaucoup de retours, parfois très violents, mais il faut comprendre qu’il y a un rationnel derrière. Contrairement à d’autres acteurs, Paymium ne prête pas l’argent de ses clients pour aller faire du 4% ou plus sur des produits de rendement.
Depuis le début, nous faisons de la conservation en propre et nous garantissons 100% de l’argent des clients. Quand vous prenez en charge la conservation, cela a un coût et puisque Paymium a un modèle basé sur les frais d’échange, si quelqu’un ne fait aucune opération pendant un an, le modèle économique ne tient pas.
Donc vous n’allez pas changer ?
Nous avons bien compris que c’était un sujet sensible pour les clients, donc nous sommes en train d’en discuter. Je ne dirais pas que nous avons pris une décision, mais nous réfléchissons.
J’ai bien intégré que c’était un sujet important, même s'il faut rappeler qu’il y a un vrai rationnel derrière ce modèle. Ce n’est pas comme dans le monde traditionnel où il n’y a qu’un registre avec les entrées et les sorties. Dans cet univers, si vous perdez vos cryptos, vous les perdez définitivement, donc les enjeux sont colossaux.
Quel est l’objectif de Paymium ?
On se voit comme un partenaire des acteurs cryptos, et notamment des brokers (Coinhouse ou Meria sont des brokers, ndlr) à qui nous fournissons des cryptos. Côté plateformes d’échange, nous n’avons pas de concurrent français direct (hormis Zebitex, mais son activité est anecdotique, ndlr), mais il y a par contre beaucoup de concurrents étrangers. La France est un marché bien identifié, notamment avec la réglementation MiCA qui donne un cadre aux acteurs en Europe.
Les marchés ont bien progressé depuis le début de l’année. Comment va Paymium ?
La tendance est très positive. Sur les quatre premiers mois de l’année, Paymium a déjà fait le volume de l’année 2023. Sur le nombre de clients, les chiffres sont également en nette hausse. Nous avons doublé les inscriptions en un an.
Avez-vous des objectifs à ce niveau-là ?
Je viens d’arriver, les choses vont se mettre progressivement en place et nous communiquerons dessus en temps voulu. À date, nous avons plus de 230.000 clients, et l’objectif est d’en avoir des millions.