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Comprendre les marchés prédictifs crypto : fonctionnement, atouts et limites

Comprendre les marchés prédictifs crypto : fonctionnement, atouts et limites

Les marchés prédictifs décentralisés, comme Polymarket, bousculent l’anticipation des événements mondiaux. Entre crypto et prévisions, découvrez comment ces plateformes révolutionnent les probabilités.

Qu'est-ce qu'un marché prédictif ?

Les marchés prédictifs sont des plateformes ouvertes permettant de faire des paris sur l'issue de divers événements. Ces derniers peuvent inclure le résultat d'une élection, d'un match sportif, d'un événement économique ou d’autre chose. Les thèmes sont théoriquement sans limite. Ce type de marché offre donc la possibilité de parier sur des pronostics et d'être rémunéré selon le résultat.

En agrégeant ces paris, on obtient une vision collective des probabilités qu'un fait se réalise. Cela peut servir à estimer l'état de l'opinion sur divers sujets à un instant précis. La récompense étant financière et non liée aux opinions de chacun, les marchés prédictifs peuvent théoriquement offrir une perspective plus objective des chances qu'un événement se réalise.

Dans le cadre d'une élection par exemple, les marchés prédictifs peuvent permettre de visualiser l'opinion publique sur les chances qu'un candidat remporte l'élection. Ceci diffère des sondages qui recueillent simplement les intentions de vote — il est important de noter que les intentions de vote ne sont pas équivalentes aux probabilités qu'un candidat soit élu.

L'histoire des marchés prédictifs

Pour comprendre pleinement l’évolution et l’importance des marchés prédictifs, il faut plonger dans leur riche passé et leurs multiples applications, qui vont bien au-delà de simples paris. Dès 1503, en effet, on pariait sur l’identité du prochain pape dans l’Italie de la Renaissance, une époque où les paris n’étaient pas seulement un divertissement, mais aussi un moyen de sonder l’opinion publique dans des sphères restreintes. Ce type de prédictions se retrouve également dans l’Angleterre du XVIIe siècle, où des paris informels se tenaient dans les cafés pour spéculer sur des sujets aussi variés que l’issue des batailles ou l’ascension politique de figures notoires.

Au XIXe siècle, les États-Unis, et plus particulièrement Wall Street, ont marqué un tournant majeur. Les paris sur les élections présidentielles, notamment, sont devenus si populaires qu’ils étaient considérés comme des indicateurs de choix, souvent plus fiables que les sondages. En 1916, par exemple, les bookmakers de Wall Street estimaient à 85% les chances de réélection de Woodrow Wilson, un taux qui correspondait presque parfaitement au résultat final. Les fonds récoltés à travers ces paris étaient parfois réinjectés dans les campagnes, contribuant ainsi, indirectement, à influencer le cours des événements politiques eux-mêmes.

Le XXe siècle a ensuite vu l’essor du concept de « sagesse des foules », théorisé notamment par le statisticien Francis Galton. Ce dernier avait observé que lors d’un concours de poids de bétail, la moyenne des estimations faites par les spectateurs était étonnamment proche du poids réel, dépassant parfois les prédictions d’experts. Cette observation a donné naissance à l’idée que des groupes, lorsqu’ils sont suffisamment diversifiés et indépendants, peuvent faire des prédictions plus justes que celles d’individus isolés, même spécialisés. Ce concept a largement contribué à asseoir la crédibilité des marchés prédictifs comme instruments potentiels d’anticipation fiable.

L’innovation continue autour des marchés prédictifs a franchi un cap en 1988, avec le lancement du Iowa Electronic Markets (IEM) par l’Université de l’Iowa, l’un des premiers marchés prédictifs électroniques permettant des mises financières. Destiné initialement à anticiper les résultats d’élections américaines, ce marché académique a démontré l’efficacité de cette approche : les prévisions de l’IEM étaient souvent plus précises que les sondages traditionnels, en partie grâce à l’incitation financière qui poussait les participants à se renseigner et à parier judicieusement.

Depuis, de grandes entreprises ont suivi cet exemple pour améliorer leurs propres prévisions. Google, par exemple, a mis en place des marchés prédictifs internes, appelés Prediction Markets, où les employés pouvaient placer des mises fictives sur la faisabilité de projets, les dates de sortie de nouveaux produits, et même sur des enjeux aussi stratégiques que l’adoption des produits sur le marché. Ces marchés se sont révélés particulièrement utiles pour détecter des problèmes potentiels en amont, en révélant les intuitions collectives de ceux qui travaillaient directement sur les projets.

D’autres entreprises, comme Hewlett-Packard ou Microsoft, ont également testé des marchés prédictifs internes pour anticiper des résultats, notamment dans les domaines des ventes et des développements technologiques. Hewlett-Packard, par exemple, a utilisé des marchés pour estimer la demande de ses imprimantes, constatant que ces prévisions basées sur les connaissances des employés étaient souvent plus exactes que les estimations basées sur les données historiques seules.

L’usage des marchés prédictifs s’est également étendu au domaine politique et social à l’échelle nationale et internationale, avec des plateformes comme PredictIt aux États-Unis ou Betfair au Royaume-Uni. Ces plateformes offrent un espace où tout un chacun peut parier sur des événements politiques, économiques ou sociaux, permettant ainsi de générer une « intelligence collective » qui intéresse autant les observateurs que les décideurs.

Fonctionnement des marchés prédictifs

Les marchés prédictifs fonctionnent comme des bourses spécialisées dans les paris sur des événements futurs, où chaque pari représente une position sur le probable déroulement d’un événement donné. Ce mécanisme est simple mais sophistiqué, permettant aux prix de refléter en temps réel la perception collective des probabilités de résultats spécifiques. Les prix des parts varient généralement entre 0 et 1 dollar avec un système basé sur des « contrats binaires ». Chaque contrat représente un résultat binaire (oui/non) ou un éventail de résultats possibles pour des événements plus complexes.

Les participants achètent et vendent des parts en fonction de leurs prévisions, et chaque transaction affecte les prix de manière à refléter la probabilité perçue de chaque issue. Prenons l’exemple hypothétique de l’élection présidentielle de 2024 : si la question est « Trump va-t-il remporter l’élection ? », les participants achètent des parts de « Oui » ou de « Non » en fonction de leurs anticipations. Si le cours d’une part « Oui » monte, cela signifie qu’une majorité de participants pense que ses chances de victoire augmentent, et cette hausse de prix se traduit comme une estimation plus élevée de probabilité de succès. Par exemple, si la part « Oui » atteint 0,70 $, le marché estime implicitement que Trump a 70 % de chances de l’emporter, bien que ce ne soit qu’une interprétation probabiliste.

La nature binaire de ces contrats donne lieu au phénomène du « winner takes all » : une fois l’événement terminé et le résultat officiel connu, les parieurs qui ont choisi la bonne option voient leurs parts atteindre la valeur maximale, soit 1 dollar, tandis que les autres perdent tout. Ce modèle se distingue des options financières traditionnelles, où les pertes et gains sont souvent modulés. Les marchés prédictifs sont ainsi des outils dynamiques et réactifs qui traduisent des prévisions individuelles en une intelligence collective fascinante.

Certains marchés prédictifs proposent également des contrats multiples ou des résultats par tranche. Par exemple, pour la question « Quel pourcentage des voix Trump obtiendra-t-il en 2024 ? », les participants peuvent acheter des parts dans des intervalles comme « 40-45 % », « 45-50 % », etc. Cela permet de capter des résultats avec plus de nuances et d’en tirer des probabilités plus détaillées. Ces types de marchés multi-outcomes sont utilisés pour des prédictions complexes, comme les estimations de croissance économique trimestrielle ou les résultats d’événements sportifs à plusieurs tours.

L’intégration des cryptos et des modèles décentralisés

L’arrivée des cryptomonnaies a véritablement révolutionné les marchés prédictifs en permettant leur décentralisation complète via la blockchain et les smart contracts, créant ainsi un écosystème sécurisé, transparent et ouvert à tous. Augur, lancée en 2018 sur la blockchain Ethereum, a marqué le début de cette transformation en proposant un marché prédictif décentralisé sans intermédiaires. Grâce aux smart contracts, les participants peuvent créer leurs propres marchés, et les transactions, automatiques et immuables, éliminent tout risque de fraude ou de manipulation.

Le fonctionnement sur Augur s’appuie sur le modèle classique de marché prédictif : les utilisateurs achètent des parts représentant les résultats d’un événement, par exemple « Oui » ou « Non » pour des questions binaires. Pour des questions à résultats multiples, les participants peuvent également parier sur des intervalles spécifiques ou des scénarios personnalisés, comme « Les précipitations à New York dépasseront-elles 10 cm en décembre ? », offrant ainsi une variété de configurations de paris.

Augur permet également un système de résolution des conflits via des mécanismes de vérification. Par exemple, si le résultat d’un événement est contesté, un processus de validation par la communauté, utilisant le token REP, intervient pour déterminer le résultat réel, rendant le système résistant aux manipulations. Ce modèle incite les détenteurs de REP à faire des vérifications honnêtes, car toute tentative de fausse déclaration entraîne des sanctions financières.

Ce projet est considéré comme inactif depuis fin 2021. La raison principale de cet échec s’explique par la mauvaise exécution de son équipe car qui n’a jamais su proposer une interface simple et conviviale.

Polymarket (lancé en 2020) s’est depuis imposé comme la plateforme majeure. Elle utilise la blockchain Polygon, réputée pour ses frais de transaction faibles et sa rapidité. Depuis sa création, Polymarket a connu une croissance rapide, représentant environ 14 % de la valeur totale verrouillée (TVL) sur Polygon, ce qui montre l’engouement pour ces nouvelles formes de prédiction. Sur Polymarket, on retrouve des événements classiques comme des élections ou des résultats sportifs, mais également des paris atypiques sur des sujets d’actualité variés. Un exemple marquant est celui où les utilisateurs pouvaient parier sur des déclarations médiatiques précises, comme le nombre de fois où Donald Trump prononcerait le mot “Russie” lors d’une interview.

Des prédictions plus complexes sont aussi explorées, tels que des paris sur des événements climatiques. Les utilisateurs peuvent parier sur des variables précises comme la température moyenne d’une saison dans une ville donnée, exploitant des sources de données externes grâce aux oracles, des services spécialisés qui connectent la blockchain au monde réel. Ces oracles vérifient les données de manière autonome et injectent les résultats dans le smart contract, déclenchant automatiquement les paiements en fonction du résultat vérifié.

Dans quelle mesure peut-on avoir confiance dans leurs probabilités ?

Prenons par exemple la prédiction des décisions de la Fed : alors que Polymarket a récemment anticipé avec justesse le niveau de la baisse des taux d’intérêt, 92 % des économistes habituellement interrogés par Bloomberg se sont trompés. Comment expliquer une telle différence ? Les marchés prédictifs bénéficient d’un flux d’informations diversifié et en temps réel : les parieurs suivent de près les discours, les indicateurs économiques et même les subtilités de langage des responsables de la Fed, ce qui les aide à évaluer plus finement les probabilités de changements de taux. Cette pluralité de perspectives permet au marché de se rapprocher d’un consensus plus juste qu’une prédiction émise par un panel d’experts.

Mais ses marchés prédictifs ne garantissent pas une exactitude infaillible. Ils capturent la « sagesse des foules » en exploitant les intuitions et les informations individuelles de milliers de participants, mais leurs prévisions ne sont pas toujours justes, et ils peuvent se tromper face à des incertitudes ou des informations dissimulées.

Un exemple frappant est survenu récemment lorsqu’HBO a annoncé un documentaire promettant de dévoiler l’identité de Satoshi Nakamoto, le créateur du Bitcoin. Sur Polymarket, environ 50 % des parieurs pensaient que Len Sassaman serait révélé comme étant Satoshi. Cependant, le documentaire désigna finalement Peter Todd, un résultat inattendu et décevant pour une majorité de parieurs. Cet échec souligne la vulnérabilité des marchés prédictifs face aux rumeurs et au battage médiatique : lorsqu’il manque une information cruciale, même un marché bien informé peut faillir.

Que peut-on alors conclure ? Les marchés prédictifs ne sont pas des oracles infaillibles ; ils fournissent des indications basées sur une agrégation de perspectives et d’intuitions, mais pas une « vérité » certaine. Ce manque de certitude est souvent amplifié par le comportement des initiés. Paradoxalement, les insiders – ceux qui connaissent parfois un résultat en avance – peuvent délibérément masquer la vérité dans leurs paris pour éviter de révéler leur savoir, ou même influencer les autres parieurs en orientant les cotes dans un sens ou dans l’autre. Cet effet est particulièrement visible dans des marchés avec des enjeux financiers ou politiques importants, où des initiés choisissent de ne pas intervenir pour éviter des soupçons ou de compromettre leurs propres intérêts.

Ainsi, les marchés prédictifs doivent être compris comme des outils d’anticipation et non des certitudes. Les traders aguerris les utilisent pour leurs insights, sans pour autant y voir des réponses définitives. Ils peuvent fournir des indications précieuses, notamment lorsqu’ils reflètent un consensus de plusieurs centaines ou milliers de participants ; cependant, ceux qui les consultent doivent garder en tête les biais potentiels et les manipulations possibles. Les marchés prédictifs ont donc une vraie valeur ajoutée dans l’interprétation d’événements incertains, mais leur efficacité dépend de la transparence et de la fiabilité des informations que les parieurs utilisent.

La différence entre un marché prédictif et un sondage

Les sondages et les marchés prédictifs offrent deux visions très différentes des probabilités d’événements futurs, et cette distinction est cruciale pour comprendre leur utilité respective.

Un sondage demande aux participants de répondre sur leurs intentions ou préférences personnelles : par exemple, « Pour qui allez-vous voter ? » ou « Pensez-vous que l’économie va s’améliorer ? ». Ces réponses reflètent une image instantanée des opinions et intentions individuelles mais n’indiquent pas forcément le résultat final. En période électorale, les sondages mesurent souvent l’intention de vote dans des échantillons représentatifs d’une population donnée, mais ils peuvent être biaisés par des facteurs comme la sur-représentation de certains groupes ou l’hésitation des répondants à partager leurs véritables intentions, surtout sur des sujets sensibles.

En revanche, les marchés prédictifs fonctionnent comme des places boursières où les participants investissent sur des événements futurs en fonction de leurs propres analyses, connaissances ou même rumeurs du moment. Contrairement aux sondages, un parieur sur un marché prédictif ne déclare pas ses préférences personnelles mais prend position sur l’issue la plus probable pour maximiser son retour financier. Par exemple, quelqu’un pourrait parier sur la victoire d’un candidat qu’il n’apprécie pas, simplement parce qu’il estime que les circonstances jouent en sa faveur. Ce biais « utilitaire » oriente les participants à se détacher de leurs opinions personnelles pour se concentrer sur des analyses objectives ou des informations privilégiées, souvent en consultant des sources variées comme les tendances économiques, les débats ou les campagnes sur les réseaux sociaux.

Autre différence notable : les marchés prédictifs permettent à des individus de parier sur des événements internationaux sans avoir de lien direct avec le pays ou la culture concernée. En période électorale, un parieur français peut miser sur une élection aux États-Unis ou inversement, ce qui introduit des perspectives extérieures, souvent plus objectives et moins influencées par les biais domestiques. Dans le cas des paris de Polymarket, les Américains n’ont théoriquement pas le droit d’utiliser la plateforme pour des raisons réglementaires au sujet des cryptos.

Cette globalité peut parfois offrir des prévisions plus neutres et mieux informées que les sondages, qui, eux, sont limités à un échantillon local. En effet, lors du Brexit, de nombreux sondages britanniques (ainsi que les marchés financiers) montraient une forte tendance pour le « Remain » (rester), tandis que certains marchés prédictifs internationaux, en tenant compte de signaux subtils et de données économiques, anticipaient davantage un « Leave » (quitter).

Ces distinctions montrent que, bien que les sondages et les marchés prédictifs puissent tous deux fournir des informations précieuses, ils remplissent des rôles différents : les sondages captent les tendances d’opinion, tandis que les marchés prédictifs cherchent à évaluer le résultat le plus probable, souvent en intégrant des signaux plus variés et en minimisant les biais personnels. C’est pourquoi, lors d’événements majeurs, les analystes suivent souvent les deux pour obtenir une vue d’ensemble équilibrée.

Des risques de manipulation ?

Les marchés prédictifs crypto présentent un risque réel de manipulation, notamment par les « whales », des investisseurs aux moyens financiers importants capables d’influencer fortement les cotes en plaçant de gros paris. Ce phénomène est visible dans Polymarket, où un mystérieux investisseur, « Fredi9999 » surnommé le « Trump whale », a parié des millions pour faire pencher les cotes en faveur de Donald Trump dans l’élection présidentielle de 2024, malgré des sondages et des probabilités sur d’autres marchés prédictifs montrant une course serrée avec Kamala Harris. En octobre 2024, cet investisseur a placé plus de 30 millions de dollars sur la victoire de Trump, ce qui a fait grimper sa probabilité perçue, créant ainsi un écart notable avec les sondages traditionnels.

Les whales peuvent profiter de la liquidité relativement limitée des marchés prédictifs crypto pour influencer les cotes à des fins stratégiques. Par exemple, en influençant les perceptions du public sur les chances d’un candidat, ils peuvent tenter de modeler la couverture médiatique ou de semer des doutes dans l’esprit des parieurs et analystes. Dans le cas de Polymarket, certains analystes estiment que ces paris massifs pourraient viser à renforcer la perception publique de la viabilité de la candidature de Trump.

D’autres relèvent que le compte « Fredi9999 » achète des parts Trump de façon assez régulière, principalement lorsque sa cote devient plus avantageuse. Ce comportement s'apparente plutôt à celui d'un investisseur fortuné qui croit en la victoire de Trump — ou du moins estime que sa cote est sous-évaluée.

Un phénomène similaire s'est produit lors de l'élection présidentielle américaine de 2012. Un investisseur surnommé la « baleine Romney » avait placé une série de paris totalisant près de 7 millions de dollars sur la victoire de Mitt Romney, le candidat républicain, via la plateforme de paris InTrade (aujourd'hui disparue). Cette « baleine » a tout perdu lorsque le président Barack Obama a obtenu son second mandat.

Cependant, cette vulnérabilité aux manipulations appelle à la prudence de la part des utilisateurs des marchés prédictifs crypto. Les actions des "whales" mettent en lumière les défis que ces marchés doivent relever pour préserver leur intégrité et leur fiabilité, particulièrement dans des contextes où les enjeux financiers et politiques sont considérables.

Quelle réglementation pour les marchés prédictifs ?

Les enjeux réglementaires des marchés prédictifs crypto sont variés et touchent principalement à la surveillance, à la manipulation des marchés et aux implications politiques des contrats d’événements. Aux États-Unis, la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) avait longtemps interdit les contrats de prédiction sur des événements politiques, les considérant comme des formes de jeu qui ne répondaient pas aux critères des produits financiers autorisés. Cependant, une décision judiciaire de septembre 2024 permettrait à certaines plateformes, telles que Kalshi, d’offrir des contrats électoraux. La régulation de ces marchés reste néanmoins floue, et la CFTC pourrait chercher à redéfinir ou restreindre leur usage. Polymarket n'est actuellement pas disponible aux utilisateurs américains et la société a payé une amende de 1,4 million de dollars pour l'avoir proposé par le passé.

Les marchés prédictifs décentralisés sont particulièrement vulnérables à la manipulation par de gros investisseurs (ou « whales »), capables d’injecter d’importantes sommes pour influencer les probabilités d’un résultat. Par exemple, sur Polymarket, un investisseur majeur a orienté les probabilités en faveur de Trump, ce qui pourrait influencer non seulement les perceptions publiques mais aussi le comportement des électeurs. La CFTC pourrait intervenir pour limiter de telles manipulations, en s’appuyant sur des lois similaires à celles régissant les produits financiers classiques, ce qui pourrait inclure des sanctions ou des interdictions.

En Europe, la régulation des marchés prédictifs varie considérablement selon les pays, et aucun cadre commun à l’Union européenne n’existe actuellement pour encadrer ces plateformes, qu’elles soient crypto ou non. La situation est complexe, car les marchés prédictifs peuvent être considérés soit comme des instruments financiers, soit comme des jeux de hasard, en fonction de leur structure et de leur usage.

Dans de nombreux pays européens, comme la France, les marchés prédictifs peuvent être assimilés à des jeux de hasard. Cela les place sous la supervision des régulateurs des jeux d’argent, tels que l’Autorité nationale des jeux (ANJ), qui impose des exigences strictes en matière de licences, de transparence et de protection des joueurs. En pratique, peu de marchés prédictifs ont obtenu l’autorisation nécessaire pour opérer légalement dans ces pays, et les régulateurs sont souvent réticents à approuver des plateformes décentralisées et non conformes aux réglementations traditionnelles de jeu.

Dans d’autres pays, notamment le Royaume-Uni, les marchés prédictifs sont parfois tolérés en tant que produits financiers, ce qui les place sous la supervision de la Financial Conduct Authority (FCA). La FCA applique des normes strictes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (AML) et de connaissance client (KYC). Des plateformes comme Betfair opèrent ainsi sous la régulation de la FCA pour offrir des services de prédiction sur des événements sportifs et politiques. Cela dit, les plateformes de prédiction crypto, en particulier celles utilisant des contrats décentralisés et des tokens, sont encore en zone grise car elles échappent partiellement au contrôle de la FCA.

Les marchés crypto décentralisés comme Polymarket, accessibles en Europe, ne sont pas encore soumis à une régulation stricte, bien qu’ils puissent être influencés par la nouvelle régulation européenne sur les crypto-actifs, MiCA (Markets in Crypto-Assets). Cette régulation, qui devrait entrer en vigueur en 2024-2025, imposera des normes de transparence et de protection des utilisateurs pour les plateformes opérant avec des crypto-actifs, y compris possiblement des marchés prédictifs. Toutefois, MiCA ne traite pas encore spécifiquement des contrats d’événements, laissant un flou sur la légalité et la régulation de ces marchés dans l’UE.

Qualités et défauts des marchés prédictifs décentralisés

Les marchés prédictifs décentralisés présentent plusieurs avantages :

  • Absence d'intermédiaire : Les plateformes décentralisées fonctionnent sans autorité centrale, offrant davantage de liberté et des frais réduits.
  • Transparence accrue : Grâce à la blockchain, chaque transaction est traçable, garantissant une meilleure transparence dans les paris et la gestion des résultats. Cela facilite également la détection de potentielles manipulations.
  • Liberté totale de création de marchés : Les utilisateurs peuvent créer des marchés sur n'importe quel sujet, ce qui est impossible sur les plateformes centralisées traditionnelles.
  • Précision supérieure aux sondages classiques : La « sagesse des foules » et les incitations financières permettent aux marchés prédictifs décentralisés de fournir des prédictions souvent plus fiables que les sondages traditionnels.

Cependant, ils présentent aussi plusieurs inconvénients :

  • Manque de régulation : L'absence de contrôle centralisé peut entraîner des abus, comme des paris sur des sujets éthiquement discutables (par exemple, le décès de personnalités).
  • Manipulation par les « baleines » : Les gros investisseurs peuvent influencer le marché, nettement moins liquide que dans la finance traditionnelle. Cela risque de fausser les prédictions par rapport à la réalité de la situation.
  • Risque de paris invalides : Sans autorité centrale pour vérifier la validité des événements proposés, certains marchés peuvent manquer de clarté ou il peut être difficile d'en valider les résultats.

Les perspectives futures des marchés prédictifs décentralisés

L’avenir des marchés prédictifs décentralisés est prometteur, mais leur succès dépend de leur capacité à naviguer dans des environnements de régulation et de gouvernance adaptés, ce qui est essentiel pour prévenir les manipulations et renforcer leur crédibilité. Avec l’essor des cryptomonnaies et des plateformes comme Polymarket, l’expansion de la base d’utilisateurs pourrait accroître la précision des prédictions en diversifiant les sources de données et en exploitant mieux la « sagesse des foules ».

Cette diversification est cruciale : en intégrant des perspectives mondiales sur des sujets comme la politique, la science ou la finance, les marchés prédictifs pourraient devenir des outils stratégiques dans la prise de décision.

Cependant, leur pérennité dépendra d’un équilibre entre innovation et éthique, particulièrement pour éviter les abus et respecter la confidentialité des utilisateurs. Si ce modèle réussit, il pourrait établir un standard pour les futures plateformes, attirant les institutions et le grand public. Les perspectives sont donc enthousiasmantes, mais elles reposent sur une adaptation continue aux normes légales et éthiques pour inspirer confiance.

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