MiCA : Tensions sur les stablecoins

MiCA : Tensions sur les stablecoinsMiCA : Tensions sur les stablecoins

La future réglementation européenne des stablecoins, qui entrera en application cet été, fait encore l’objet de nombreux flous, que ce soit pour l’industrie ou les régulateurs. Cette situation ambiguë semble bénéficier aux institutions bancaires traditionnelles.

Quels stablecoins resteront autorisés en Europe au début de l'été ? Cette question brûlante préoccupe actuellement l'industrie crypto, sans réponse claire même pour les régulateurs européens qui naviguent eux aussi dans le flou. "Il reste encore de très nombreux points d'interrogation," reconnaissent des représentants de l'Autorité bancaire européenne (EBA) et de l'Autorité européenne des marchés financiers à The Big Whale.

Avec l'approche de l'application du règlement européen MiCA, destiné à réguler les crypto-actifs à l'échelle de l'UE à partir du 30 décembre 2024, et son volet sur les stablecoins effectif dès le 30 juin 2024, le secteur se trouve à un tournant.

Ce règlement promet de transformer le marché en imposant des restrictions importantes aux émetteurs de stablecoins (qu'ils représentent des euros ou des dollars), restreignant potentiellement l'accès des utilisateurs européens aux principaux stablecoins, qu'ils soient centralisés ou décentralisés, sur les plateformes d'échanges régulées en Europe. "Très peu de gens en sont conscients, tant dans l'écosystème crypto qu'au niveau réglementaire," déplore Morgane Fournel-Reicher, avocate chez Herbert Smith.

"La conséquence majeure sera d'inciter les investisseurs particuliers vers la finance décentralisée (DeFi) pour acheter et utiliser des stablecoins, et à les stocker dans des portefeuilles auto-hébergés comme ceux conçus par Ledger," ajoute Sébastien Dérivaux, contributeur de l'écosystème MakerDAO et PDG de Steakhouse Financial.

Même si ces actions ont tendance à devenir de plus en plus accessibles, elles ne sont pas simples pour les débutants et ces derniers s'exposent ainsi à des erreurs. Et donc à des pertes en capital.

Une classification en monnaie électronique problématique

Selon la définition à venir dans MiCA, les stablecoins seront classés comme de la monnaie électronique (E-Money Token), et non comme des actifs numériques comme les autres cryptomonnaies, qu'ils soient en dollars ou en euros.

"Cette assimilation à de la monnaie électronique vise une meilleure protection des détenteurs, leur permettant de réclamer un remboursement à tout moment à parité," souligne Morgane Fournel-Reicher.

Cependant, la monnaie électronique est conçue pour fonctionner dans un réseau fermé, sous le contrôle total de son émetteur, à l'opposé des stablecoins qui opèrent sur un réseau ouvert, tel qu'une blockchain publique comme Ethereum.

"Cela signifie que l'émetteur d'un stablecoin doit constamment vérifier l'identité de ses détenteurs, ce qui est pratiquement impossible dans l'univers crypto," poursuit Morgane Fournel-Reicher.

De plus, la monnaie électronique impose des limites d'utilisation annuelles de quelques milliers d'euros pour les particuliers, une restriction inadaptée pour les stablecoins car ces derniers sont des instruments au cœur des stratégies d’investissement et enregistrent des volumes importants.

Selon nos informations, les régulateurs français pourraient finalement se montrer flexibles sur les questions d'identification et de limites. En revanche, aucune confirmation officielle n'a été donnée à ce jour.

Une autre interrogation non résolue concerne la rémunération des dépôts des utilisateurs, un pilier du modèle économique des stablecoins basé sur l'investissement de leur réserve dans des actifs à faible risque (le plus souvent dans des obligations souveraines, actuellement rémunérées à 5,5 % par an sur les titres américains).

"Les émetteurs de stablecoins aimeraient redistribuer une partie de ce rendement aux détenteurs. Interdire ce mécanisme nuirait fortement à leur attractivité," fait remarquer Marina Markezic, cofondatrice de The European Crypto Initiative, l’un des plus importants lobbies crypto européens.

Pour rappel, la majorité des émetteurs de monnaie électronique traditionnels se rémunèrent également sur ce principe mais n'ont pas la possibilité d'en faire bénéficier leurs utilisateurs.

Les banques traditionnelles avantagées par rapport aux acteurs crypto

Pour beaucoup d'acteurs, il sera difficile d'obtenir ces agréments nécessaires pour maintenir leur activité en Europe. Au 30 juin 2024, seuls les établissements de monnaie électronique (EME) et les établissements de crédit (les banques) seront autorisés à le faire.

"Avec MiCA, nous verrons une augmentation des stablecoins émis par des banques," anticipe Sveinn Valfells, cofondateur et PDG de Monerium, seul acteur natif de l'écosystème crypto à disposer d'un agrément EME. La société islandaise gère l'émission de l'EURe dont l'offre en circulation est d'environ 10 millions d'euros.

Pour Matthieu Lucchesi, avocat pour le cabinet Gide, "les acteurs bancaires traditionnels ont un boulevard pour pouvoir lancer un stablecoin d'envergure régulé en Europe". D'autant plus que du côté des autorités européennes, on confie que de "nombreux acteurs bancaires" se sont positionnés sur le sujet en entamant "les démarches réglementaires nécessaires" pour rentrer dans les clous de MiCA concernant les stablecoins.

"De nombreux acteurs cryptos sont également positionnés mais ils sont nettement moins bien préparés", confie un lobbyiste bruxellois. "Hormis Circle (qui dispose de l'enregistrement PSAN en France mais attend toujours sa licence EME), très peu d'acteurs natifs de l'écosystème semblent prendre la mesure de ce qui peut potentiellement leur tomber dessus".

La question demeure si les autorités accorderont un délai supplémentaire aux acteurs non conformes d'ici le 30 juin. Dans son rôle, l'EBA juge cette hypothèse "hautement improbable," bien que, selon nos informations, des discussions en coulisses suggèrent le contraire.

Les exchanges pourraient avoir besoin de nouvelles licences

Le sujet des stablecoins dépasse le cadre des émetteurs et pourrait toucher les plateformes d'échange qui les listent. En effet, l'assimilation à de la monnaie électronique pourrait soumettre les Bourses crypto à la Directive des services de paiement (DSP3), obligeant les plateformes comme Coinbase ou Binance à obtenir un agrément supplémentaire.

Pour l'avocate Morgane Fournel-Reicher, la question est épineuse car il reste encore à définir dans quels cas un stablecoin pourrait être considéré comme un moyen de paiement. "Pour le moment, aucune précision n'a encore été apportée à ce sujet", souligne-t-elle.

Et le temps presse : "Aujourd'hui, les plateformes d'échange sont la principale porte d'entrée pour les nouveaux investisseurs dans l'écosystème crypto. Les empêcher de lister des stablecoins ralentirait considérablement la démocratisation de la crypto en Europe", regrette un bon observateur du secteur.

Vers des solutions limitées ou décentralisées ?

Face à la complexité réglementaire, certains acteurs envisagent d'ores et déjà de proposer des stablecoins qui évolueraient en réseau limité, c'est-à-dire dans lequel les utilisateurs seraient préalablement autorisés par les émetteurs. C'est notamment le cas du CoinVertible de Société Générale que l'on peut acquérir uniquement sur Bitstamp et qui ne peut pas être retiré de la plateforme. De nombreux acteurs bancaires estiment qu'un tel produit pourrait être exclu du champ d'application de MiCA.

D'autres font quant à eux le pari de la décentralisation afin de profiter d'une zone grise encore non couverte par la réglementation européenne. Parmi eux, on peut citer l'agEUR émis par le protocole Angle, le Dai de Maker ou encore l'usUSD d'Usual, le projet de stablecoin porté par l'ancien député “crypto” français Pierre Person.

À la différence des stablecoins émis par des entreprises, ces derniers s'appuient sur des protocoles. Ils échapperaient à toute régulation en 2024, même si cela n'est que provisoire car la nouvelle version de MiCA attendue en 2025-2026 devrait s'y intéresser.

Selon nos informations, l'Electronic Money Association (EMA) qui représente le secteur en Europe travaille à la rédaction d'une lettre ouverte avec des associations comme l'Adan ou l'EUCI à destination des autorités européennes pour réclamer des clarifications et dénoncer l'inégalité de traitement entre les acteurs traditionnels et ceux émanant de l'industrie crypto.

"Au départ destinée à protéger le consommateur, la qualification en monnaie électronique des stablecoins dans MiCA apporte finalement plus d'incertitude qu'autre chose", regrette Marina Markezic.

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