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Ooki DAO : les dessous d’une décision historique

Ooki DAO : les dessous d’une décision historique

Ooki DAO : les dessous d’une décision historiqueOoki DAO : les dessous d’une décision historique

Une organisation autonome décentralisée (DAO) vient d'être reconnue comme personne morale par un tribunal américain. Dans une interview avec The Big Whale, l’avocat Victor Charpiat revient sur les conséquences de cette décision historique.

Une organisation autonome décentralisée (DAO) vient d'être reconnue comme personne morale par un tribunal américain. Dans une interview avec The Big Whale, l’avocat Victor Charpiat revient sur les conséquences de cette décision historique.

Qu’est-ce que l’affaire Ooki DAO ?

En septembre 2022, la CFTC (le régulateur américain des commodities, ndlr) a lancé une action judiciaire à l’encontre du protocole Ooki DAO. Ce protocole, qui est toujours utilisable, offre différentes solutions de trading, staking et prêt/emprunt mais, surtout, permet de trader avec effet de levier sur des crypto-actifs, ce qui fonde la compétence de la CFTC.

La particularité de cette affaire tient au fait que la personne assignée est Ooki DAO, en tant que DAO, et non ses fondateurs ou l’entreprise à l’origine du protocole. Les fondateurs du protocole, qui géraient initialement le protocole via la société bZeroX LLC, ont conclu une transaction séparée avec la CFTC.

Cette procédure a notamment fait polémique lorsque le juge saisi du dossier a permis à la CFTC de notifier le défenseur, c’est-à-dire la DAO, en postant l’assignation sur le forum d’Ooki DAO et dans la Help Chat Box du site.

Ooki DAO ne s’étant pas défendue à l’occasion de cette procédure, un jugement par défaut a finalement été rendu le 8 juin 2023. Le juge accède à toutes les demandes de la CFTC : condamner Ooki DAO à une sanction de 643.542 dollars, enjoindre Ooki DAO de cesser de fournir une solution de trading de commodities, et enjoindre Ooki DAO de retirer de son site tous les éléments renvoyant à la possibilité de trader des commodities (ou, plus simplement, mettre hors ligne leur site internet).

En quoi le jugement est-il important pour l’écosystème Web3 ?

Ce jugement montre que les arguments de fond autour de la décentralisation et de l’absence de personnalité morale des DAO, et ainsi de leur responsabilité, ne convainc pas certains juges.

Ici, le juge n’a pas hésité à considérer que Ooki DAO était une personne morale au sens du droit américain (en l’occurrence une unincorporated association en droit californien et en droit fédéral, ndlr) et qu’elle était responsable de la gestion du protocole, au seul motif que la DAO contrôlait théoriquement les “clés administrateurs” relatives aux smart contracts.

Il est aussi important dans le sens où il ne cherche pas à établir de distinction entre les propriétaires du token de gouvernance, notamment selon leur niveau de participation à la gouvernance.

Enfin, il affirme une compétence territoriale des tribunaux américains sur un protocole décentralisé, au motif notamment que la DAO offre ses services à des utilisateurs américains et que des token holders ont participé à des votes alors qu’ils se trouvaient sur le territoire américain.

Est-ce que le jugement pourrait faire jurisprudence au niveau fédéral ?

Difficile à dire. Il s’agit d’un jugement rendu en première instance, et en plus d’un jugement rendu par défaut – c’est-à-dire que le mis en cause ne s’est pas défendu. Si Ooki DAO avait engagé dans cette procédure une défense judiciaire aussi volontariste que celle de Ripple, par exemple, la solution aurait peut-être été différente.

Le jugement sera logiquement invoqué comme un précédent par la CFTC, et peut-être la SEC, dans le cadre de futures affaires similaires. Mais il faudra s’attendre à des contestations judiciaires plus sophistiquées sur les questions de droit fondamentales, comme celle de la personnalité morale de la DAO, le contrôle effectif du protocole par la DAO, et la compétence territoriale.

Peut-on considérer que c’est un nouveau camouflet pour le Web3 aux États-Unis ?

Ce serait un peu exagéré. Des jugements de ce type étaient attendus. Les acteurs sérieux ont compris depuis plusieurs années que l’excuse de la décentralisation n’est pas une défense judiciaire suffisante : c’est pourquoi ils ont cherché à développer leur activité hors des États-Unis ou à restreindre l’accès des résidents américains à leur plateforme.

Cela confirme tout de même qu’il est très risqué pour des personnes américaines (ou ayant un lien de rattachement marqué avec les états-Unis) de développer des protocoles DeFi autour des dérivés sur crypto-actifs. Hélas, des raisonnements similaires pourraient être utilisés par la SEC pour poursuivre des DAO gérant des DEX, donc actives sur le marché spot et non sur le marché des dérivés.

Comment les DAO sont-elles qualifiées juridiquement en Europe ?

À l’heure actuelle, les DAO sont dans une zone grise en France et, probablement, dans tout le reste de l’Europe. Aucun pays n’a légiféré sur le sujet, et, à ma connaissance, aucune juridiction n’a prononcé un jugement aussi clair à l’encontre d’une DAO.

Par contre, il est clair que, selon le droit national, il existe toujours des théories juridiques qui peuvent être plaidées pour convaincre un juge qu’une DAO est une personne morale. Par exemple, en France, les théories de la société créée de fait, ou de l’association de fait, pourraient être invoquées pour aller chercher la responsabilité des parties prenantes dans une DAO.

Peut-on envisager la création d’un statut à part pour les DAO ?

En France, des travaux sur le sujet sont en cours au sein du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), un think tank public qui travaille sur l’évolution de la réglementation financière.

La possibilité de créer un statut légal sur mesure pour les DAO est discutée, et cette approche a notamment déjà été adoptée par plusieurs états américains, ainsi que par les Iles Marshall.

Toutefois, la forme que prendrait un tel statut, au niveau juridique, reste très floue et il est probable qu’un tel projet ne fasse pas l’unanimité parmi les juristes. Il n’y a pas non plus d’unanimité sur le sujet au niveau des acteurs de la DeFi : la plupart des acteurs du secteur privilégient, à ce stade, la reconnaissance d’un statut pour les entités qui “représentent” les DAO dans la sphère légale (ex : les associations loi 1901, ndlr) et préfèrent que la DAO, en tant que concept, reste hors du champ du droit.

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