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Thanasis Noulas (Trade Republic) : "L’Europe ne doit pas perdre son avance dans la crypto"

Thanasis Noulas (Trade Republic) : "L’Europe ne doit pas perdre son avance dans la crypto"

Thanasis Noulas (Trade Republic) : "L’Europe ne doit pas perdre son avance dans la crypto"Thanasis Noulas (Trade Republic) : "L’Europe ne doit pas perdre son avance dans la crypto"

Passé par Uber, Airbnb et Netflix, le responsable technologique de l’application d’investissement allemande, Trade Republic, connaît bien les États-Unis. Nous l’avons rencontré à Berlin. Pour lui, l’innovation financière et l’industrie crypto sont un atout pour l’Europe.

Non, notre rôle n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent faire, mais de leur permettre de le faire.

Trade Republic n’est pas une banque, mais vous n’aimez pas non plus qu’on vous considère comme une “application d’investissement”. Qu’êtes-vous alors ?

C’est une très bonne question. Nous ne voulons pas devenir une banque avec une application mobile, ni être une application d’investissement avec une licence bancaire.

Nous sommes convaincus que le monde de l’investissement va vivre une révolution, et nous aimons bien nous voir comme le "Booking" de l’investissement.

C’est-à-dire ?

Je suis suffisamment vieux (40 ans, ndlr) pour me souvenir de mes premières vacances où je passais encore par des agences de voyage. À l’époque, et ça existe encore, ils vous fournissaient des packages avec l’hôtel, l’avion, et tout ça vous coûtait 2%,3% voire 4% de commissions. C’est la même chose dans l’univers financier.

Aujourd’hui, vous êtes capables d’investir directement votre argent, comme vous pouvez vous-mêmes réserver votre hôtel, prendre un avion…

Est-ce si simple que cela ?

Non, bien sûr, il faut aussi évidemment avoir le bon produit, le bon design, avoir le moins de frais possible. Nous avons un système simple chez Trade Republic qui nous différencie de la concurrence : c’est 1 euro par transaction quel que soit le volume.

Est-ce la seule chose qui vous différencie de la concurrence ?

Quand je suis arrivé en 2020 pour prendre la direction data/ingénierie de Trade Republic, la Tech représentait 40 personnes. Aujourd’hui, nous sommes plus de 200, nous avons beaucoup investi sur ce sujet (il y a 700 salariés chez Trade Republic, ndlr).

Vous avez levé 900 millions de dollars en 2021 au moment où les marchés étaient euphoriques. N’est-ce pas trop compliqué avec ce Bear Market ?

Tout le monde est touché, il y a eu une baisse de l’activité, mais nous sommes prudents. Et paradoxalement la baisse des marchés incitent aussi les gens à investir. Ils se disent que c’est le bon moment. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons fait un très bon début d’année 2023.

L’Allemagne a une forte culture fintech. Comment l’expliquez-vous ?

L’économie allemande est la première d’Europe. Si on ajoute à cela le fait qu’il y a une vraie culture de l’épargne et de l’investissement, en tout cas plus que dans le reste de l’Europe, ainsi que beaucoup d’ingénieurs, vous avez un terreau assez fertile pour le développement des fintech.

À qui vous adressez-vous ?

Si je vous dis à tout le monde, vous ne me croirez pas, alors que c’est pourtant le cas.

Nous visons évidemment les actifs qui veulent investir, mais aussi les retraités, et de ce point de vue là les débats actuels en Europe sur les retraites montrent à quel point la gestion de l’épargne de long terme est un sujet capital, et bien sûr aussi les plus jeunes qui sont attirés par des produits alternatifs et notamment les cryptomonnaies.

Trade Republic permet d’investir dans les cryptomonnaies. Pourquoi ? Que pensez-vous de cet univers ?

Plein de bonnes choses. Il faut être lucides, les cryptomonnaies sont devenues un sujet majeur. Les particuliers s’y intéressent, les entreprises s’y intéressent, même les États ! Le dentifrice est sorti du tube et personne ne pourra le faire rentrer.

Regardez ce qui s’est passé ces derniers jours. Plusieurs banques américaines viennent de tomber, les gens cherchent un système financier alternatif et les cryptomonnaies sont une partie de la réponse. Surtout pour la nouvelle génération.

Les cryptomonnaies sont encore assez volatiles. N’avez-vous pas un devoir de vigilance sur ce que vous proposez sur la plateforme ?

Nous permettons d’acheter et de vendre plus de 50 cryptomonnaies, dans un environnement sécurisé. Ce serait même une erreur de notre part de ne pas le faire si on a, comme c’est notre cas, la conviction que nous offrons le meilleur cadre pour le faire.

Vous permettez d’acheter et de vendre des cryptomonnaies, mais pas de les retirer ou de les envoyer. Pourquoi ?

Il y a un juste milieu à trouver entre la facilité d’usage et la sécurité. Nous ne voulons pas faire comme certains et exposer nos clients. Comme je l’ai dit, nous sommes dans une industrie régulée et donc nous voulons suivre la régulation.

Prenez le cas de la plateforme d'échange Gemini. Ils se sont lancés en suivant pas à pas la régulation américaine, ils étaient le bon élève, tout marchait bien, et puis après ils ont voulu aller plus vite que la musique, et on connaît la suite (près d'un milliard de dollars sont bloqués chez un prestataire lié à l'effondrement de FTX, ndlr)…

L’Europe est en train de se doter d’une régulation crypto, MiCA, ce qui est une très bonne chose. Nous allons attendre qu’elle entre en vigueur pour lancer de nouveaux produits, offrir de nouvelles fonctionnalités.

Il faut également avoir conscience d’une chose : en 2023, envoyer et recevoir des cryptos est un cauchemar en termes de conformité et de lutte anti-blanchiment. Et je ne parle même pas de la fiscalité. Ce sont de vrais obstacles qu’il va falloir simplifier.

En parlant d’obstacles, vous avez vu que le gendarme boursier américain (SEC) avait décidé de taper fort sur l’industrie crypto. N’est-ce pas une opportunité pour l’Europe ?

Oui bien sûr, mais il faut bien avoir en tête que l’Europe bouge lentement. Tout est plus lent en Europe, ce qui nous permet de faire moins de bêtises, mais aussi de saisir moins d’opportunités. C’est un vrai choix ! Concernant la crypto, l’Europe a de l’avance, donc tant mieux. Mais il faut garder cette avance.

Qu’est-ce qui pourrait nous empêcher de la garder ?

Des revirements, des nouvelles lois qui interdiraient, par exemple, le Proof of Work (l'algorithme de consensus énergivore du bitcoin, ndlr), ou qui fragmenteraient le marché comme les États-Unis envisagent de le faire en considérant le bitcoin comme une matière première et toutes les autres cryptos comme des actifs financiers classiques… Avec ça vous créez un marché à deux vitesses, et vous cassez la machine.

Qu’est-ce qui selon vous pourrait accélérer l’adoption des cryptos ?

Il y a beaucoup de facteurs, mais j’en vois un qui n’est jamais cité alors qu’il est important : la démondialisation. Avec les tensions géopolitiques, les échanges entre certaines zones vont devenir de plus en plus compliqués. C’est déjà le cas entre les États-Unis et la Chine ou entre la Russie et l’Europe. Or dans ce contexte, le seul moyen de continuer à transférer de la valeur, c’est en utilisant des cryptomonnaies.

Vous êtes Européen (Grec, ndlr) et avez travaillé dans plusieurs grandes entreprises technologiques américaines. Qu’est-ce que cela vous a appris ?

Les entreprises technologiques sont très différentes des entreprises classiques.

Les marges des entreprises de la Tech, surtout aux États-Unis, sont hors normes, donc tant que vous réussissez à vous développer, vous n’avez pas besoin d’être efficace, vous gagnez de l’argent facilement si je puis dire. C’est après que les choses peuvent se compliquer comme on le voit aujourd’hui avec certains géants de la Tech (Meta vient d’annoncer la suppression de 10.000 emplois, ndlr).

Ce qui est aussi très différent, c’est que les entreprises technologiques attirent beaucoup de talents. Et c’est ce qu’il faut pour créer des géants comme Netflix ou Google.

Comment faire pour que ces géants soient européens ?

Pas simple (rires). Pour créer ces grands groupes, il faut être capable d’attirer les meilleurs et les garder. Et pour cela, il faut pouvoir bien les payer. Tant que nous n’aurons pas compris cela en Europe, nous n’y arriverons pas...

Imaginez, aujourd’hui la plus grosse entreprise technologique européenne s’appelle Booking, et elle pèse moins de 100 milliards de dollars (Thanasis Noulas y a travaillé pendant 2 ans, ndlr). Vous pensez vraiment que les Américains ont peur de Booking ou d’autres acteurs européens de cette taille ? C’est à peine s’ils savent qu’on existe. C’est pour ça qu’il faut que l’Europe bouge.

La philosophie derrière le Web3 est celle de la décentralisation, mais pourtant les gens utilisent beaucoup des acteurs centralisés pour acheter des cryptos. Que pensez-vous de ce paradoxe ?

Aujourd’hui nous parlons de décentralisation alors que l’univers Web3 est particulièrement centralisé. Il n’y a pas de chiffres officiels, mais une grande majorité des détenteurs de cryptos le sont via des plateformes, et pour certains ils n’ont aucune idée de comment cela fonctionne.

Comment faire changer les choses ?

Il faut un cas d’usage qui fasse basculer des centaines de millions d’utilisateurs. Je pense que cela va passer par les portefeuilles numériques qui sont aujourd’hui encore compliqués à utiliser.

On a tendance à l’oublier, mais les premiers téléphones “portables” datent des années 1980. Ils étaient réservés aux grands patrons et aux traders. À l’époque, on se demandait à quoi ils pourraient servir pour le grand public. 30 ans après, ce genre de question ferait rigoler tout le monde.

En parlant de cas d’usage, vous n’avez pas pu passer à côté de ChatGPT qui est la sensation de ce début d’année. Ils viennent de sortir la nouvelle version (ChatGPT 4). Est-ce un sujet pour vous ?

Évidemment, mais nous sommes très clairs sur l’intelligence artificielle : nous ne voulons pas devenir un robot-advisor, donc il faut rester très prudents avec des outils comme ChatGPT quand il s’agit d’investissement.

Pour le reste, ce qui est sûr, c’est que l’intelligence artificielle va nous permettre d’améliorer les choses en interne, au niveau des process. Il est possible d’automatiser de nombreuses tâches !

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