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"Une énorme claque" : Comment BlackRock met la pression aux cadors de la finance européenne

"Une énorme claque" : Comment BlackRock met la pression aux cadors de la finance européenne

"Une énorme claque" :  Comment BlackRock met la pression  aux cadors de la finance européenne"Une énorme claque" :  Comment BlackRock met la pression  aux cadors de la finance européenne

Souvent présenté comme le territoire le plus avance dans le développements des actifs numériques, l’Europe a pris de plein fouet le lancement du fonds tokenisé de BlackRock. Comment expliquer cet échec, et surtout que l’Europe réserve-t-elle désormais ?

"On se pose forcément des questions", confie un banquier français après le lancement le 21 mars par BlackRock de BUIDL (BlackRock USD Institutional Digital Liquidity Fund), un fonds monétaire tokenisé sur la blockchain Ethereum qui a réussi à collecter près de 280 millions de dollars en quelques jours.

Du côté d'une grande banque européenne, on confie que cette information a déclenché des "tensions en interne" sur la stratégie à adopter pour la suite. Mais en réalité, cet état d’esprit est présent chez de très nombreux acteurs en Europe. "On a l'impression que l'Europe va rater le coche, alors qu'on était pourtant très bien partis”, regrette une autre source bancaire à The Big Whale. “BlackRock vient de nous mettre une claque et j’espère que cela va nous pousser à accélérer”, souffle-t-elle.

👉 L'Europe en pointe sur les sujets de tokenisation

Historiquement, l'Europe fait office d'acteur le plus avancé sur le sujet depuis des années. Dès 2016 et la sortie du standard ERC-20 (tokens fongibles) sur Ethereum, des start-up comme Tokeny (2017), Kriptown (2018) ou encore Equisafe (2019), ainsi que des grandes banques comme Société Générale, ont travaillé sur la tokenisation de produits financiers, c’est-à-dire leur représentation numérique sur blockchain.

Quelques expérimentations remarquables ont même eu lieu, notamment celle de SG-Forge, la filiale du groupe Société Générale, avec une opération de refinancement ambitieuse réalisée avec MakerDAO, l'un des principaux protocoles de finance décentralisée (DeFi) en janvier 2023.

À l'époque, le PDG de la filiale, Jean-Marc Stenger, se félicitait d'une opération constituant davantage "une innovation juridique que technique. En la réalisant, nous voulions montrer qu'il était possible pour un acteur traditionnel de traiter de manière sécurisée avec un protocole de finance décentralisée en maîtrisant l'ensemble des risques", expliquait-il.

Quelques semaines plus tard, Forge lançait même son stablecoin, le CoinVertible (EURCV), avec un listing sur la plateforme d'échanges Bitstamp, une des plus régulées en Europe. Sans compter l’émission d’une obligation verte de 10 millions d’euros sur la blockchain Ethereum fin 2023.

Autant d’avancées qui ont marqué le développement institutionnel des actifs numériques en Europe, mais sans commune mesure avec le fonds de BlackRock qui a immédiatement fait l’objet de nombreuses demandes (comme de la part d’Ondo Finance, dont nous vous proposons l’analyse, qui a immédiatement souscrit pour 95 millions de dollars).

👉 Une appétence au risque moins forte qu'aux États-Unis

"En Europe, les banques ont un rôle de distribution plus important qu'aux États-Unis”, explique Luc Falempin, CEO de Tokeny, une entreprise spécialisée dans la tokenisation d’actifs. “Elles sont beaucoup plus sensibles au risque réputationnel, ce qui peut expliquer un certain conservatisme sur le sujet”, explique-t-il.

“Les gestionnaires d’actifs comme BlackRock ne redoutent pas de perdre des gros clients comme des grands industriels ou des fonds souverains, c’est beaucoup plus facile pour eux d’innover”, confie Guillaume Burtschell, directeur associé chez Finegan Advisory et notamment passé par la Société Générale et Binance France.

Ce risque de réputation, qui s’explique par la mauvaise image des cryptos, justifierait pourquoi les expérimentations sur blockchains privées ont longtemps été la norme au sein des grandes institutions financières européennes.

"Pour les grandes banques européennes, la tentation est forcément grande de recréer une infrastructure de marché fermée qu'elles partageraient. Dans ce cas de figure, elles seraient capables de maîtriser l'entièreté des flux, ce qui serait nettement plus rassurant pour elles", poursuit Guillaume Burtschell.

En effet, beaucoup redoutent l’opportunité de se lancer dans des environnements totalement ouverts et publics. Or, c’est là que se trouve la réelle innovation.

“Il existe pourtant des solutions pour rentrer dans les clous de la réglementation, même via une blockchain publique comme Ethereum", regrette Luc Falempin dont l'entreprise est notamment à l'origine du token ERC-3643, un standard de jeton fongible sur Ethereum qui permet d'incorporer différents éléments de réglementation comme l'identité d'un investisseur.

Un autre exemple démontre la différence d’approche entre l’Europe et les États-Unis. Alors qu’il existe des ETP crypto en Europe depuis 2015, leurs équivalents américains (ETF) ont connu un succès beaucoup plus important en moins de trois mois d’existence.

L'une des raisons principales ? Le refus des banques et assureurs de certains pays (notamment en France) de rendre accessible ce genre de produit. "Il existe en Europe, à notre avis, un appétit plus limité pour le risque 'crypto' de la part des grandes entreprises financières", explique à The Big Whale David Durouchoux, directeur général adjoint chez SG-Forge.

👉 Un manque de collaboration avec les acteurs crypto

Comme le soulignait à The Big Whale Sébastien Dérivaux, en poste chez MakerDAO lors de l'opération de refinancement entre le protocole et SG-Forge, le fonds monétaire tokenisé de BlackRock n'est pas tellement innovant mais se distingue par le fait d'avoir réussi à embarquer un écosystème entier dans son sillage.

Le gestionnaire d'actifs américain s'est à la fois appuyé sur de nombreux acteurs majeurs des mondes traditionnels et crypto pour faire fonctionner son produit. Au sein de son attelage, on retrouve notamment la banque américaine BNY Mellon, la plateforme de tokenisation Securitize et la plateforme d’échange Coinbase.

"Cette collaboration entre monde traditionnel et crypto est globalement ce qu'il manque en Europe. C'est un frein important au développement de la tokenisation. Aujourd'hui, la plupart de mes clients sont américains ou asiatiques et pas européens", regrette Luc Falempin dont l'entreprise est basée au Luxembourg.

"Particulièrement depuis le scandale FTX ou la chute de Terra-Luna, les directions des banques sont particulièrement réticentes à travailler avec des acteurs cryptos. Mais il est aussi vrai de dire que c'est un secteur que les grands dirigeants du monde bancaire connaissent encore mal", analyse Guillaume Burtschell.

👉 Les choses vont bouger dans les mois qui viennent

Alors, le retard est-il définitif ? Plusieurs projets de tokenisation de fonds sont sur les rails depuis plusieurs mois. L'annonce de BlackRock a mis un coup d'accélérateur. De nombreuses offres vont être lancées prochainement. “C'est une question de semaines", confie Matthieu Lucchesi, avocat pour le cabinet Gide et qui accompagne juridiquement plusieurs projets de tokenisation.

"Si le produit de BlackRock est opérationnel, il faut quand même rappeler qu'il reste pour le moment une expérimentation qui doit encore faire ses preuves", confie un avocat du secteur qui accompagne plusieurs banques européennes sur des projets de tokenisation.

Pour David Durouchoux, la taille des acteurs américains leur permet d'investir plus massivement sur ces sujets d'innovation. "Nous avons constaté un écart de 1 à 3, voire 10, entre la taille des équipes des firmes financières européennes et les firmes américaines. Un écart encore rattrapable si les Européens décident de travailler ensemble, et c'est en cela que nous pensons que l'Europe n'est pas en retard", conclut-il.

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