William Bailey (Bolero) : "Le Web3 est vraiment devenu un moyen de changer une industrie"
Créée en 2021, la start-up française Bolero utilise la blockchain pour permettre d’investir dans les droits musicaux. L'objectif ? Créer une nouvelle classe d'actifs.
The Big Whale : Derrière chaque projet, il y a des entrepreneurs et une histoire. Quelle est l'histoire de Bolero ?
William Bailey : Cela va sans doute vous faire rire, mais avant de travailler dans le Web3, je travaillais dans l'intelligence artificielle. C'était avant le succès de ChatGPT et de la folie qui s'en est suivie ! Je créais des langages naturels pour les entreprises, et puis il y a eu le Covid en 2020.
À cause du confinement, certains de mes amis qui travaillaient dans la musique se sont retrouvés du jour au lendemain sans revenus. Ils vivaient quasi exclusivement des concerts, et pas de leurs œuvres musicales.
À ce moment-là, comme beaucoup de gens, j'avais un peu de temps libre et j’en ai profité pour creuser le modèle de l’industrie musicale. Assez rapidement, je me suis rendu compte que c'était une industrie qui crée de la valeur, beaucoup de valeur même, mais que, comme dans beaucoup d'autres industries, cette valeur est mal captée et mal répartie.
De quelle valeur parlez-vous ?
Je parle des droits musicaux des artistes qui représentent chaque année 41,5 milliards de dollars. Peu de gens le savent, mais dès qu'un artiste va dans un studio et qu’il produit quelque chose, il acquiert des droits musicaux.
Aujourd'hui, tous les artistes, qu’ils soient chanteurs, musiciens, ou autres, et également tous les éditeurs sont assis sur des piles de droits liés à la distribution commerciale des œuvres. Sauf que ces droits ne sont pas disponibles et échangeables, donc ils n’ont quasiment pas de valeur.
Ce problème est identifié depuis des décennies dans l'industrie. Quelle est votre solution ?
Pendant le confinement, en plus de m'intéresser à l'industrie musicale, je me suis intéressé à la blockchain, et je me suis rendu compte qu’elle permet de créer beaucoup de nouveaux "applicatifs", et notamment dans la musique.
Avec mon cofondateur, Arthur, nous nous sommes rencontrés à Paris après le premier confinement, et nous avons commencé à travailler sur Bolero à l'automne 2020. Cela a été très intense, nous avons passé 4 mois dans nos chambres à ne faire que coder et à tester plein de choses avec la blockchain pour trouver le meilleur moyen de valoriser ces droits musicaux.
À l'époque, ce n'était pas simple d'utiliser de la blockchain parce qu'il n'y avait encore que des Layers 1 comme Ethereum, et aucun layer 2 (protocoles de seconde couche). Je me souviens encore qu'utiliser Ethereum coûtait une fortune. Ce n'est que depuis quelques mois que le modèle est vraiment intéressant.
Il existe des dizaines de layers 2. Quelle blockchain utilisez-vous pour Bolero ?
Aujourd'hui, tout est déployé sur Polygon, mais nous ne sommes pas engagés avec eux. Nous sommes agnostiques sur les blockchains. Notre objectif est d'être interopérables, donc nous discutons avec d'autres protocoles et nous ferons des annonces en temps voulu.
Parlons du produit en lui-même et de ce que vous avez développé. Comment fonctionne Bolero concrètement ?
Nous avons créé une plateforme qui permet aux artistes et aux producteurs de fractionner les droits musicaux d’un single ou d’un album sous forme de “Song Shares”. Une fois que nous avons fractionné ces droits sous forme de Song Shares, nous allons les embarquer dans des tokens, qui seront ensuite vendus aux investisseurs inscrits sur Bolero.
L’avantage pour les artistes est qu’il récupère de l’argent grâce à leurs droits musicaux et pour les investisseurs c’est la possibilité de toucher les royalties des artistes.
Est-ce vraiment indispensable de recourir à la blockchain pour faire cela ?
Utiliser une blockchain, publique je précise, est évidemment utile, et ce, pour plusieurs raisons.
D’abord, parce qu’elle permet à des artistes et à des producteurs de fractionner leurs droits et de les vendre.
Puis, parce qu’elle permet à n’importe qui d’investir dans les droits musicaux sans limite géographique.
Enfin, et c’est peut-être le plus intéressant dans ce que nous avons développé, la blockchain permet de toucher les royalties issus des droits musicaux dont on est propriétaires. Bolero collecte les royalties en euro et en dollar, les convertit en USDC (stablecoin de Circle) sur Polygon et redistribue tout cet argent automatiquement aux propriétaires des Song Shares dans leurs portefeuilles.
Comment le prix des Song Shares est-il fixé sur Bolero ?
Ce n'est pas l'artiste qui choisit le prix. L'artiste fait une proposition et nous avons une équipe qui fait une estimation. Nous regardons les revenus passés et nous les projetons dans le futur avec un taux d'inflation et un taux de régression de popularité.
Après analyse, nous sommes capables de dire que le titre ou le catalogue de l'artiste vaut 100 ou 150. Nous ne laissons jamais sortir un droit sous la forme d'un Song Shares sans validation par l'équipe.
Tous ces services ont un prix. Combien Bolero prélève sur les opérations ?
Nous prenons 20% de frais lors de la première vente des droits musicaux sur le marché. Ensuite, c'est 1,2% sur le marché secondaire.
Cela peut paraître énorme...
Nous apportons de la valeur et de la liquidité aux artistes et aux investisseurs.
Comment gérez-vous la liquidité sur les Song Shares ?
Aujourd'hui, nous avons plus de 10000 clients sur la plateforme avec une soixantaine d'artistes et de producteurs. Toutes les parts que nous mettons en vente le sont à des prix très bas, entre 10 et 20 euros. Nous avons fait ce choix parce que nous avons envie qu'un utilisateur qui a 30, 50 100 euros puisse lui aussi investir.
Pour le moment le marché n’est pas encore assez mûr, donc il faut parfois attendre plusieurs heures, voire plusieurs jours pour réussir à vendre ou acheter un droit musical. Mais l'ambition c'est qu’avec le temps ce soit de plus en plus rapide d’acheter et de vendre des Song Shares.
Déjà plus de 10.000 personnes ont acheté des droits musicaux, mais sont-ils devenus des investisseurs réguliers ?
Aujourd'hui, nous avons 36,9% de rétention mensuelle sur nos utilisateurs. Cela signifie qu'il y a plus d'un tiers de nos clients qui rachètent des Song Shares sur Bolero dans le mois. Et nous en avons à peu près un tiers qui le fait chaque semaine, donc la rétention est là.
Après, pour nous, le challenge est d'aller encore plus loin, car nous avons des utilisateurs qui sont très actifs et sont plus intéressés par le trading de droits musicaux que sur le fait de toucher des royalties.
Qu'allez-vous faire ?
Nous allons garder de la supply de notre côté et nous allons créer des "bundles" (offres) sur des catégories, un peu comme des ETF décentralisés. Il y aura un bundle Rap Français, un Bundle Bossa Nova.
Nous allons approvisionner ce bundle avec des droits auxquels nous avons accès et les gens pourront s'exposer à ces thématiques.
Quels sont les utilisateurs type de Bolero ?
Nous avons deux types d’utilisateurs. D'un côté (38%) ceux qui se déclarent comme étant des fans de musique. Ceux-là se disent “quand je stream de la musique, je gagne de l'argent”. Et de l'autre côté (68%), il y a les néo-investisseurs. Ce sont des gens qui ont de l'épargne et qui veulent se diversifier.
Ce qui est intéressant avec la musique, c'est qu'il y a un cash flow très stable et prévisible. Il y a ce qu'on appelle l'arc de croissance, c'est-à-dire que vous avez les 18 premiers mois d'un morceau où il y a un pic de consommation puis après vous revenez vers un plancher qui a une durée presque infinie.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
À l'ère du streaming, les morceaux ne disparaissent jamais. Ils sont toujours dans des playlists, ils sont toujours en recommandation. Il y a toujours le clip qui va être visionné sur Youtube, la musique qui va passer dans un une vidéo TikTok.
Le meilleur exemple pour nous, c’est la chanson "Brothers" de Rilès qui est sur la plateforme depuis un an. Les Song Shares ont un revenu d'un peu plus de 10% par an alors que le morceau est sorti il y a 8 ans. Ce n'est pas un morceau récent, mais il y a un plancher en termes d’écoute et c'est ça que les investisseurs viennent chercher : un actif qui n’est pas exposé à la conjoncture et qui a un rendement positif.
Tous les artistes peuvent-ils venir sur la plateforme ?
Non, ce n'est pas open bar, tous les artistes ne peuvent pas venir comme ils le souhaitent. Il y a une sélection. Avant de lister un artiste, on fait notre travail de due diligence pour s'assurer qu'il y a de la valeur.
Vous avez levé 2 millions d'euros en février auprès de plusieurs fonds et business angels comme Sébastien Borget (The Sandbox). Qu'est-ce que cette opération signifie selon vous ?
Bolero est en train de s'imposer dans le paysage musical. Beaucoup de projets concurrents ont pivoté vers l’intelligence artificielle (Royal aux Etats-Unis par exemple, ndlr), quand ils n’ont tout simplement pas mis la clé sous la porte (Yadeck par exemple).
À quoi sert votre levée de fonds ?
À développer la tech et bien sûr à recruter quelques personnes (il y a actuellement 9 personnes chez Bolero), et surtout des profils tech. Nous allons bientôt annoncer un gros recrutement, un profil qui vient d'un grand groupe de la musique.
Comment expliquez-vous que vous ayez réussi là où beaucoup se sont cassés les dents ?
Je pense que notre force est que nous avons beaucoup testé et pivoté pour trouver la proposition de valeur la plus viable à long terme pour les artistes et les investisseurs.
Nous avons commencé par les investisseurs particuliers et depuis le début de l’année nous avons de la traction du côté des entreprises. Nous discutons avec des banques, des fonds et des family offices qui veulent se positionner sur ce genre d’actifs.
Comment expliquez-vous ce changement d’acteurs plus traditionnels ?
Le Web3 est vraiment devenu un moyen de changer une industrie. Certains professionnels ont compris qu’il garantissait un marché liquide, sécurisé et conforme à la réglementation, donc désormais ils s’intéressent à la partie business, à la valeur de l’actif, aux tendances de marché, et plus aux questions technologiques.
Pourquoi se tournent-ils vers vous ?
Nous sommes légitimes sur le sujet et que nous avons une offre qui s’étoffe. Nous venons de faire rentrer 730 nouveaux morceaux qui s'ajoutent aux 420 déjà rentrés en début d'année avec la signature du producteur belge "Le Motif".
La tokenisation des droits musicaux va permettre de créer un marché dans lequel n’importe qui, c’est-à-dire vous et moi, va pouvoir acheter et vendre sur le même marché que des banques privées ou des family offices. C'est un changement assez incroyable.
Pensez-vous que la tokenisation va toucher tous les secteurs ?
À long terme, j’en suis convaincu. À plus court terme, je pense surtout que la tokenisation va avoir un impact sur des secteurs où il y a beaucoup de valeur mal captée, comme la finance, le gaming ou la musique.
Comment voyez-vous le futur de Bolero d’ici 2-3 ans ?
Très bien (rires). Plus sérieusement, notre objectif est devenir incontournable dans l’univers de la musique.
Aujourd’hui, nous avons une plateforme pour les particuliers et à terme nous allons avoir une infrastructure pour les entreprises accessible par API où les professionnels pourront accéder à nos fonctionnalités sans passer par la plateforme. C'est ce plan qui doit nous permettre d'être rentables, je l’espère en 2025.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.