DeFi sur Ethereum : État des lieux et perspectives en 2024
Après une longue période de flottement liées aux conditions de marché, la finance décentralisée sur Ethereum a aujourd'hui regagné l'intérêt de ses utilisateurs. Découvrez dans cette analyse comment se porte le secteur en 2024.
Situation globale
À l’heure actuelle, environ 58 milliards de dollars de cryptos sont bloqués dans les protocoles DeFi sur Ethereum. C’est 2,7 fois plus qu’en octobre 2023, où la TVL était au plus bas, mais environ la moitié de son record historique (106 milliards de dollars en novembre 2021).
Bien que cette reprise soit intrinsèquement liée au prix des différents jetons qui composent la DeFi (principalement ETH), cette montée en puissance relève également d’un regain d’intérêt des utilisateurs pour les protocoles.
On peut notamment le constater via le volume on-chain : alors qu’il était à seulement 670 millions de dollars par jour en octobre 2023, le volume a aujourd’hui bien progressé et avoisine les 2,6 milliards de dollars par jour.
Mais tous les secteurs de la DeFi sur Ethereum ne sont pas logés à la même enseigne : certains narratifs ont tiré leur épingle du jeu en 2024, au détriment d'autres projets qui souffrent aujourd’hui d’un certain désintérêt.
Les DEX sont toujours aussi prospères mais la compétition est rude
Les plateformes d’échange décentralisées sur Ethereum sont aujourd’hui très utilisées, reflétant l’intérêt des utilisateurs DeFi.
Cependant, la compétition est rude entre les différents acteurs. Actuellement, Uniswap reste le leader incontesté avec un volume hebdomadaire de 9 milliards de dollars sur le mainnet. C’est une énorme performance, dans la mesure où le géant centralisé Coinbase enregistre autour de 15 milliards de dollars.
En comparaison, Curve, qui occupe la seconde place, continue de perdre des parts de marché et atteint “seulement” 1,4 milliard de dollars de volume par semaine. C’est environ 6,5 fois moins que son principal concurrent, alors que la TVL d’Uniswap est seulement 2,5 fois plus importante que celle de Curve.
Comment expliquer une telle différence de volume ? Elle réside en réalité principalement dans le modèle de la plateforme.
La liquidité sur Uniswap (V3 - qui capte 90% du volume sur Uniswap Ethereum) est concentrée, contrairement à Curve, ce qui permet une bien meilleure utilisation du capital des fournisseurs de liquidités.
Conséquence directe pour les utilisateurs : les échanges sont souvent meilleurs sur Uniswap. C’est pourquoi la majorité du volume transite via cette plateforme (via les agrégateurs, qui représentent environ 50% du volume de la DeFi).
Ce modèle de liquidité concentrée (introduit sur Uniswap V3) s’est démocratisé dans la DeFi. Il est aujourd’hui jugé meilleur que l’ancien modèle, qui nécessitait de déployer ses liquidités sur un intervalle de prix allant de 0 à + ∞ (encore utilisé sur Curve).
Mais tout n’est pas pour autant rose pour Uniswap, puisque la plateforme est actuellement en train de perdre du terrain face à Aerodrome et Velodrome, représentants du modèle ve(3,3).
En effet, tirés du célèbre DEX Solidly apparu sur la blockchain Fantom, Aerodrome et Velodrome utilisent certaines de ses composantes en y ajoutant quelques spécificités.
Comme sur Uniswap, ils utilisent des pools de liquidités concentrées mais avec des incitations supplémentaires reposant sur un système de pots-de-vin (bribes).
Sans trop entrer dans les détails techniques, les fournisseurs de liquidités sur Aerodrome/Velodrome reçoivent non seulement les frais générés par les échanges mais aussi des jetons supplémentaires (liés au fonctionnement du ve(3,3)).
Cette double incitation permet une meilleure compensation des pertes impermanentes (impermanent loss) pour les fournisseurs de liquidités et est véritablement profitable pour le système.
Sur le layer 2 Base (lisez notre analyse), Aerodrome a déjà dépassé Uniswap en termes de volume : 1,9 milliard de dollars sur 7 jours contre 875 millions pour Uniswap, bien qu’Uniswap v3 dispose de 1,85 fois plus de TVL que les pools concentrées d’Aerodrome.
Par conséquent, il est important de constater que la dominance de ce marché est fragile et repose principalement sur les innovations technologiques liées à ce domaine (une plateforme plus efficiente prendra naturellement davantage de parts de marché).
Aave domine le marché des plateformes de lending
Dans le secteur des plateformes de lending, tout fonctionne à merveille : le modèle est jugé viable et attire toujours plus d’utilisateurs.
Aave, la plateforme de prêts et d’emprunts n°1 sur Ethereum, est toujours très utilisée. À l’heure de l’écriture de ces lignes, le protocole comptabilise environ 12,8 milliards de dollars de TVL (contre 19 milliards à son plus haut).
La plateforme a su surmonter les difficultés rencontrées et a démontré la robustesse de son système.
C’est notamment grâce à son mécanisme de gouvernance agile : le protocole est géré par les détenteurs de AAVE qui peuvent influencer la plateforme en votant sur les diverses propositions (soumises également par les parties prenantes du protocole).
Chaque semaine, plusieurs propositions (généralement des changements de paramètres de risque) sont votées pour ajuster le protocole en fonction des conditions de marché. Cela permet à la plateforme de s’adapter rapidement. Récemment, sa communauté a évoqué la possibilité de redistribuer une partie des revenus générés par le protocole via un rachat de tokens AAVE sur le marché, ce qui pourrait soutenir son cours.
C’est notamment ce qui a fait défaut à Liquity, un service d’emprunt décentralisé qui a perdu beaucoup d'intérêt suite à un changement de marché (le protocole est totalement immuable et ne dispose pas de gouvernance).
Derrière Aave se trouvent Spark Protocol (3,1 milliards de dollars de TVL), Compound Finance (2,3 milliards) et Morpho Blue (950 millions).
Spark Protocol est un fork d’Aave V3 soutenu par Maker DAO. Malgré sa deuxième place en termes de TVL, il n’apporte pas vraiment de valeur ajoutée au marché.
À vrai dire, les facteurs qui expliquent pourquoi le protocole est aujourd’hui si haut en TVL sont un programme d’airdrop (en SPARK, le jeton de la plateforme) et anciennement la disponibilité du sDAI (un actif générateur de rendement) sur Spark (désormais disponible sur Aave).
On peut donc légitimement se demander : quel sera l’intérêt d’utiliser Spark une fois que le protocole aura sorti son jeton ?
Spark offre certains paramètres de risques plus permissifs sur Spark (notamment sur les stablecoins).
Concernant Compound Finance, le marché peine à se relever de ses différents hacks subis en décembre 2020 et septembre 2021 (159 millions de dollars ont été perdus).
Malgré la reprise du marché, les utilisateurs ne sont toujours pas confiants à l’idée de placer des fonds dans ce protocole. La TVL n’a cessé de chuter depuis son record à 12 milliards de dollars.
Enfin, Morpho Blue semble être le concurrent le plus sérieux d'Aave. Son approche est intéressante puisqu’elle repose sur une délégation du risque à ses utilisateurs.
À l’inverse d'Aave, qui est géré par une gouvernance et utilise une pool globale pour ses actifs, Morpho dispose de marchés isolés (ex : wstETH/USDC) et immuables avec des paramètres de risque propres à chacun d’eux.
C'est-à-dire que l’utilisateur qui souhaite s’exposer à des actifs/paramètres de risque précis pourra le faire via les différents marchés disponibles. Il sera assuré que ces paramètres resteront tels quels et ne dépendra pas des autres actifs du protocole.
C’est une approche différente mais qui répond assez bien aux acteurs sophistiqués notamment. La plateforme dispose actuellement de 950 millions de TVL sur Ethereum.
Étant donné que Spark et Morpho Blue ne disposent pas encore de jeton liquide, ils peuvent jouer sur leur programme d’airdrop respectif pour attirer davantage de liquidités.
Le restaking est le secteur le plus explosif de 2024
C’est le secteur qui a connu la plus grande ascension en 2024 : depuis le début de l’année, la TVL d’EigenLayer est passée de 155.000 ETH (500 millions de dollars) à 5.7M ETH (18,5 milliards de dollars).
Cette montée en puissance a été principalement alimentée par les protocoles de liquid restaking (LRT) comme EtherFi (lire notre analyse) ou Renzo (lire notre analyse), qui permettent aux utilisateurs de profiter des différents programmes d’airdrop tout en disposant de leur ETH.
Étant donné que le slashing n’est pas encore actif sur EigenLayer, il est très peu risqué d’y déposer des fonds. C’est en partie pour cette raison que nous avons constaté que les baleines ont eu relativement peu de réticence à migrer vers cette narrative.
Concernant les acteurs de ce secteur, EigenLayer bénéficie du “first mover advantage” et capte aujourd’hui 90% du marché.
Cependant, certains concurrents sérieux ont récemment fait leur apparition : Symbiotic (1,2 milliard de dollars TVL) et Karak (1 milliard) sont les deux challengers les plus importants aujourd’hui (lire notre analyse du secteur du restaking).
Bien que Karak n’offre pas vraiment de perspectives claires, Symbiotic innove avec une approche totalement différente. Contrairement à la sécurisation des réseaux uniquement avec de l’ETH, Symbiotic est permissionless et permet à n’importe qui d’introduire d’autres jetons.
Cette approche séduit déjà plusieurs acteurs puisque Ethena et Hyperlane (également sécurisés par EigenLayer) vont utiliser Symbiotic pour sécuriser leur réseau.
Concernant les différents LRT, la concurrence est rude : EtherFi (6,3 milliards de dollars de TVL) continue d'assurer sa place de leader (53% de parts de marché), en sortant des produits pertinents au bon moment (notamment leur vault “Super Symbiotic LRT” qui introduit EtherFi sur Symbiotic).
Son principal concurrent Renzo (1,8 milliards de dollars de TVL) continue de perdre des parts de marché. Alors qu’il était à 32% le 1er mai, le projet ne représente “que” 15% du marché aujourd’hui.
Cette perte de vitesse est principalement due à la perte de confiance de certains investisseurs, conséquence du depeg du ezETH en avril dernier (le ezETH a perdu son ancrage de 5% par rapport à ETH durant cet événement).
Les autres LRT sont restés plutôt stables au niveau des parts de marché.
Enfin, le boom du restaking a globalement bénéficié aux protocoles de staking liquide, comme Lido, mais peut-être pas autant que certains l’auraient souhaité.
Bien que seulement 25% de la TVL d’EigenLayer soit composée de liquid staking tokens (le reste provient de validateurs indépendants), cela représente tout de même 4,6 milliards de dollars.
Ces fonds ont été répartis principalement sur le stETH de Lido (900.000 ETH), celui de Mantle (150.000 ETH) et celui de Swell (115.000 ETH).
Concernant le marché du liquid staking (LST) en général, Lido (lire notre analyse) est toujours en tête avec une dominance d'environ 30%. Il se pourrait que cette dominance se renforce dans les prochaines semaines.
En effet, Mellow, l’infrastructure derrière la majorité des LRT Symbiotic, ne fonctionne qu’avec du wstETH. On peut donc s’attendre à une augmentation de la demande pour ce jeton dans les prochains mois, à mesure que les dépôts Symbiotic rouvriront.
Symbiotic et Mellow ont été financés par la Lido Alliance, un collectif visant à développer la présence de stETH dans l’écosystème DeFi. Cela fait suite à une volonté de concurrencer EigenLayer.
Les stablecoins centralisés sont toujours autant utilisés
Depuis un an, le paysage des stablecoins n’a pas beaucoup changé.
90% du marché est encore dominé par les stablecoins soutenus par du fiat (principalement USDT et USDC), tandis que le reste est constitué de stablecoins “décentralisés”.
Tether a grappillé des parts de marché à Circle, passant de 50% à 58%, renforçant ainsi sa suprématie au sein de l’écosystème. À ce jour, on compte environ 114 milliards d’USDT en circulation (ATH) contre 34 milliards d’USDC.
Du côté des stablecoins décentralisés, de nouvelles tendances émergent, notamment via l’apparition des stablecoins générateurs de rendement.
Maker a ouvert la voie il y a quelques mois en mettant en place des collatéraux RWA sur DAI pour se diversifier et augmenter ses revenus.
Ce changement a conduit à la popularisation du DSR, un contrat permettant aux utilisateurs qui déposent du DAI de recevoir une partie des bénéfices du protocole (représenté par le jeton sDAI).
Aujourd’hui, toute personne qui détient du sDAI est rémunérée à 7% de rendement annuel. Comme ce jeton est composable, il peut être utilisé en DeFi, notamment en collatéral sur des marchés monétaires.
Ethena Labs est aussi axé sur ce créneau, via ses stablecoins USDe et sUSDe.
Pour rappel, le protocole a mis en place un basis trade tokenisé sur ETH et BTC permettant aux détenteurs de sUSDe (USDe staké) de recevoir un rendement natif. Détenir du sUSDe rapporte aujourd’hui 11% APY.
Il y a aujourd’hui 3,2 milliards d’USDe en circulation. C’est d’ailleurs le stablecoin à avoir connu la croissance la plus rapide de l’histoire des stablecoins (celui qui a atteint 3 milliards de dollars de capitalisation le plus rapidement).
Bien que le concept d’Ethena soit intéressant (lire notre analyse d’Ethena), les rendements du sUSDe varient beaucoup selon le marché (soumis aux funding rate) et les risques de la gestion du basis trade sont également importants.
Enfin, on peut citer Angle Finance et Usual, qui font partie des challengers de cette narrative.
À travers l’USDA (70 millions de jetons en circulation), Angle permet aux détenteurs de stUSD (USDA staké) de générer du rendement nativement. Comme pour Maker, Angle intègre différents collatéraux comme des USDA prêtés sur Morpho ou des tokenisations d’ETF d’Amundi et BlackRock (principalement des bons du Trésor européens et américains, ainsi que des titres de dette de grandes entreprises).
Usual adopte un système similaire avec son USD0 (130 millions de jetons).
Bien que ces systèmes soient intéressants pour les utilisateurs, la gestion des collatéraux RWA est assez opaque et requiert une confiance importante envers l’émetteur du stablecoin.
Conclusion
La DeFi sur Ethereum connaît un réel regain d’intérêt, que ce soit au niveau des particuliers ou des professionnels.
Le narratif du restaking semble très prometteuse et remplie d’opportunités. Quant aux stablecoins, il est nécessaire de bien comprendre les risques liés à certains projets pour éviter la surexposition.
Avant d’investir dans un produit, l’investisseur doit comprendre entièrement les risques et consulter ses propres conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables.